4ème conférence de Chérif Ferjani, professeur en science politique à Lyon 2
En Tunisie, la victoire des islamistes
L’espoir d’élections démocratiques
Après la fuite de Ben Ali, le 14 janvier 2011, Mohamed Ghannouchi, dernier premier ministre du président déchu, forme un gouvernement d’union nationale mais l’opposant historique, Moncef Marzouki dénonce une « mascarade » en fustigeant le maintien des ministres de Ben Ali.
La rue demande la dissolution de l’ancien parti au pouvoir (le RCD ou Rassemblement Constitutionnel Démocratique) et la démission du premier ministre Mohamed Ghanouchi. Le 27 Février 2011, ce dernier démissionne et le nouveau premier ministre (Béji Caïd Essesi) promet des élections constitutionnelles en juillet de la même année.
Une haute Instance (Instance Supérieure Indépendante pour les Elections ou ISIE) est chargée d’organiser l’élection. Elle a pour but d’enregistrer les électeurs, de préparer le scrutin et d’assurer son bon fonctionnement. Les islamistes, minoritaires au sein de la Haute Instance, se sentent discriminés et menacent de se retirer (ils ne le feront pas…).
Une assemblée constituante qui prend le pouvoir
L’élection de l’Assemblée constituante (première élection démocratique en Tunisie), prévue en juillet, est reportée au mois d’octobre 2011. Les islamistes se présentent comme les victimes de la dictature de Ben Ali et comme des islamistes modérés. Par ailleurs, 50% des électeurs ne votent pas, faute de s’y retrouver dans la multiplicité de listes (plus de 1600 !).
C’est ainsi que le parti islamiste (Ennahda) est le grand vainqueur des élections. Il obtient 90 sièges sur 217 et devient le premier parti (bien qu’il n’ait obtenu que 35% de 50% des votants, soit 17,5% du corps électoral !). Pour gouverner, il n’aura besoin de ne s’allier qu’avec un seul parti, le parti de Moncef Marzouki, arrivé en seconde position, qui remporte 30 sièges et est ouvert au dialogue avec les islamistes.
L’Assemblée constituante qui avait pour mission d’élaborer une nouvelle constitution s’érige en pouvoir législatif et s’occupe de tout sauf de ce pour quoi elle a été élue ! On se trouve face à un régime parlementaire absolu sans contre-pouvoir et on assiste à une islamisation de la société tunisienne. Seule la société civile se mobilise pour s’y opposer.
En Egypte, un coup d’état militaire
La mise en place d’une commission constituante
Le 13 février 2011, deux jours après le départ de Moubarak, l’armée proclame la dissolution du Parlement et la suspension de la Constitution.
Le 15 février, le conseil supérieur des armées désigne une commission pour amender la Constitution.
Le 19 mars, un référendum valide les propositions de la commission (participation de 41%). Peu après, un nouveau mode de créations de partis est adopté : pour créer un parti, il faut collecter 5000 signatures et publier ses statuts dans deux journaux nationaux.
Quelques nouveaux partis apparaissent ainsi, en particulier :
– Le parti des Frères musulmans (PLJ ou Parti de la Liberté et de la Justice)
– Le parti des Salafistes (ou parti Nour, la lumière)
Un nouveau code électoral, publié le 30 mai 2011 retient le principe de l’élection à la majorité simple pour les 2/3 des sièges et à la proportionnelle pour le tiers restant.
Des élections législatives invalidées
Les élections législatives sont organisées en 3 étapes les 28 novembre, 14 décembre 2011 et 3 janvier 2012.
Il y a 32% d’abstentions et le PLJ sort vainqueur du scrutin avec 47% des sièges. Le parti de la Lumière arrive en seconde position avec 22,5%. A eux deux, ils récoltent presque 70% des sièges.
Le 14 juin 2012, la Haute Cour Constitutionnelle décide d’invalider un tiers des sièges, au motif qu’un tiers des sièges devait être réservé aux candidats indépendants des partis, et que de très nombreux élus appartenaient à des partis.
Erreur ou omission ? En tout cas, l’Assemblée est dissoute en totalité car « la loi qui a gouverné le déroulement des élections est contraire aux règles de la Constitution », et en attendant les élections présidentielles (premier tour le 24 juin 2012), le pouvoir législatif est dévolu à l’armée.
L’élection du président Morsi puis sa destitution
Le 8 juillet 2012, Mohamed Morsi (issu des Frères musulmans) est finalement élu président. Il obtient seulement 24,78% des voix au premier tour. Au second tour il bénéficie d’une forte abstention et du report des voix des électeurs qui voulaient éviter la victoire de l’autre candidat en lice, Ahmed Shafik, dernier premier ministre de Moubarak.
Une fois élu, Mohamed Morsi annule par décret la dissolution de l’Assemblée qui avait été décidée par l’armée. Il promulgue une « Déclaration Constitutionnelle » qui lui confère la possibilité de légiférer par décret. C’est un « coup d’Etat rampant ».
Pour prendre de court les contestations qui se développent, Morsi annonce qu’il soumettra le projet de Constitution à référendum. Mais en même temps il entreprend l’islamisation de l’Etat et se met à dos tous les corps constitués (armée, justice, médias…).
Cependant le ministre de la défense devant être un militaire : c’est le général Sisi qui est choisi.
Cette nomination n’empêche pas de nombreuses manifestations contre la dérive dictatoriale du nouveau pouvoir. « Les Frères musulmans volent la révolution » peut-on lire sur les banderoles déployées sur la place Tharir au Caire. Entre 20 et 30 millions de signatures sont récoltées pour demander de nouvelles élections.
En juillet 2012, la tension devient insupportable. Sisi demande à Morsi d’accepter les élections mais ce dernier refuse. Le général prend alors la tête d‘un coup d’Etat sanglant le 3 juillet 2013.
Mohamed Morsi est démis de ses fonctions et placé en détention préventive. Des élections sont prévues pour le printemps 2014.
De la liesse à la colère
Après le « printemps arabe » de 2011 et « l’hiver islamiste » de 2012, l’année 2013 a été porteuse de nouvelles tensions dans ces deux pays : islamisation de la société tunisienne, coup d’Etat militaire en Egypte.
On comprend que la liesse populaire ait cédé la place à la colère et à la frustration dans la société civile.