Lors de sa dernière conférence, Chérif Cherfaoui est revenu sur quelques généralisations abusives concernant l’islam et les printemps arabes et a répondu aux questions du public.
L’exception islamiste
Bien avant les printemps arabes, on trouve la thèse selon laquelle l’islam serait une « exception » dans les religions monothéistes.
– La thèse de Bernard Lewis
En 1957, Bernard Lewis, historien anglais spécialiste de l’islam, s’attache à montrer que l’islam, « par essence », établit un lien très fort entre le politique et le religieux.
En effet, le prophète Mahomet n’était pas seulement un chef spirituel mais aussi un chef militaire. Cette caractéristique expliquerait la menace d’un « djihad » global (le mot signifie « [combat, lutte|mais dans un sens spirituel] »). Ainsi, la paix ne pourrait être que provisoire, puisque le combat ne s’arrêterait qu’avec la généralisation de la « Oumma ».
A l’inverse, dès ses débuts, le christianisme a distingué le pouvoir temporel du pouvoir spirituel. Lewis cite, à l’appui de sa thèse, la réponse de Jésus aux Pharisiens qui lui demandaient s’il fallait payer l’impôt à César : « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu » (Matthieu, XXII, 21).
– C. Cherfaoui réfute cette idée d’ « exception islamiste »
Selon lui, la religion n’est pas figée et a évolué dans le temps. Malgré le « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu », le christianisme s’est politisé, a connu une politique d’expansion et même des guerres de religion. Et la séparation de l’Eglise et de l’Etat ne date que de 1905…
De même, si l’islam (comme le judaïsme) a commencé par se politiser, il s’est dépolitisé aux 9ème, 10ème et 11ème siècles. Ce qui primait alors, c’était l’image d’un islam soufiste, spiritualiste, pacifique, voire même résigné (Inchallah !). A l’époque de la colonisation, les musulmans ont accepté l’autorité des occidentaux, ils se sont adaptés. On peut dire que l’islam s’est repolitisé à partir de la révolution iranienne (de même que le judaïsme s’est repolitisé avec la création d’Israël).
Ainsi, comme on le voit, l’islam politique est récent et il n’est pas inhérent à la religion musulmane. La thèse de Lewis constitue une généralisation hâtive. L’idée que, « par essence », l’islam serait politique n’est pas fondée.
L’ hiver islamiste
Au lendemain du Printemps arabe, on a commencé à parler d’ « hiver islamiste ». Là aussi, il s’agit d’une généralisation abusive :
– D’abord, on ne peut nier l’élan démocratique des peuples
– Ensuite, il n’est pas dit que la révolution ne finisse pas par triompher
L’histoire de l’humanité n’est pas « un long fleuve tranquille ». En Europe, la démocratie ne s’est pas imposée en un jour. Inversement, il peut toujours y avoir des retours en arrière (le fascisme, le nazisme).
Les Musulmans sont des êtres humains comme les autres. Ils ont les mêmes peurs.
– La démocratie représente l’aventure,
– Le pouvoir militaire, voire l’intégrisme représentent la sécurité.
En Egypte, c’est le réflexe sécuritaire qui prime aujourd’hui. Mais cela ne veut pas dire que le général Sissi, même s’il est élu, pourra gouverner comme Nasser. On ne revient jamais à la case départ. Ce qui a été semé empêchera le rétablissement durable d’un régime autoritaire.
Le « miracle tunisien »
Dans le Nouvel Observateur, Jean Daniel parle du « miracle tunisien ». Pour la première fois, la religion n’est plus la source de la Loi et la Tunisie devient un Etat civil (article non modifiable de la Constitution). Elle est le premier pays arabe à couper ainsi le lien entre la religion et la Loi (mais pas le premier pays musulman, la Turquie et l‘Indonésie l’ont déjà fait).
Pour C. Cherfaoui, il n’y a pas de «miracle» tunisien mais le résultat d’un processus démocratique.
En France, c’est l’avènement de la démocratie (sous la 3ème République) qui a amené la séparation de l’Eglise et de l’Etat et non l’inverse. Pourquoi ne serait-ce pas pareil dans les pays arabes ?
Le communautarisme en France
– Un islam républicain
Aujourd’hui, L’Union des Jeunes Musulmans (organisation musulmane créée à Lyon en 1987) représente « un islam musclé mais républicain ». Ces jeunes militent pour « un islam citoyen» et revendiquent au nom de leur identité française. C’est un signe d’intégration.
– L’affaire du foulard
Mais la crise engendre un certain nombre de crispations, l’affaire du foulard en est une.
En 1970, la France a signé la Charte Européenne selon laquelle (Article 10 Liberté de pensée, de conscience et de religion)
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »
Pour C. Cherfaoui l’interdiction du voile va à l’encontre de cet article.
– Le repli communautaire
On peut se demander pourquoi certains musulmans se replient sur leur communauté.
Ce repli s’expliquerait par le retrait de l’Etat qui sape les solidarités dans certains territoires. Aujourd’hui, on « détricote » tous les acquis de la 3ème République et si le lien social n’est pas pris en charge politiquement, les gens n’ont d’autre recours que le repli sur leur communauté, même si celle-ci est étouffante.
On ne peut pas à la fois déplorer le refus de la laïcité et accepter un désengagement de l’Etat. On ne peut combattre le communautarisme par des discours. Il faut comprendre d’où viennent les problèmes pour y remédier, sans chercher des boucs émissaires. Plus on tardera, plus la solution sera difficile.