Ce pays au carrefour de toutes les routes entre l’Orient et l’Occident, ayant subi de nombreuses invasions au cours des siècles et dont les frontières n’ont été délimitées que par les intérêts géopolitiques de Staline, possède cependant une véritable identité à plusieurs visages.
C’est un pays islamique
L’Islam s’est imposé en Asie centrale au VIIIème siècle, bien avant son implantation en Chine. Il dicte alors un mode de vie qui imprimera sa marque jusqu’à aujourd’hui : organisé autour de la mosquée et de l’école coranique (medersa), du bain public (hammam), du centre de collecte des impôts (diwan) et du commerce avec la création de bazars (souks) et de caravansérails.
Aujourd’hui, ce que l’on retient d’abord d’un voyage en Ouzbékistan est la splendeur de l’architecture islamique. Les minarets sont le symbole de cette magnificence. Leur fonction n’était pas seulement religieuse (appel à la prière) mais aussi utilitaire : éclairés la nuit, comme des phares, ils guidaient les caravanes dans leurs voyages nocturnes. Leur décoration très travaillée (motifs géométriques et hautes fenêtres) varient selon les lieux et les époques. La beauté des coupoles couvertes de céramiques vernissées d’un bleu intense est inoubliable. Quant aux mosquées, elles sidèrent par leur caractère monumentale et la splendeur de leurs décorations dans lesquelles les bleus- tous les bleus- éclatent sous la lumière.
Toute cette architecture aujourd’hui restaurée – sous l’impulsion des soviétiques et celle de Lénine en particulier « il faut rendre au peuple son histoire » – a pour fonction de célébrer la grandeur de l’Islam et celle du pouvoir alors en place. La place du Registan à Samarkand rassemble tous les éléments de cette architecture de manière parfaite : deux médersas gigantesques se font face tandis qu’au fond, comme un décor de théâtre, une médersa (au nom évocateur « Tilia Kari » couverte d’or) ferme la place. Pour moi, cet ensemble monumental, construit sous Tamerlan, a la même fonction que notre Versailles : par sa grandeur et sa beauté, affirmer la prééminence d’un pouvoir religieux et politique, pouvoir qui ne souffre aucune contestation.
Dans la vie quotidienne, la religion (Islam sunnite) est présente mais discrète. Ces mosquées ne servent plus de lieux de culte. Certaines sont devenues lieux de pèlerinage, par exemple celle de Khodja Akhrar à Samarkand, que nous avons visitée en nous mêlant librement à la foule des pèlerins ouzbeks et étrangers ainsi que celle des touristes de toutes nationalités. La cour intérieure, ombrée de vieux arbres, est un havre de paix pour tous. Seule la présence d’un groupe de femmes islamiques d’origine pakistanaise, voilées de noir entièrement, a suscité un certain malaise, voire une légère réprobation collective : le voile est réellement banni de la République ouzbèke.
Le peuple ouzbek reste religieux comme en témoignent les fêtes familiales pour la cérémonie de la circoncision ainsi que le respect de la loi religieuse : le musulman d’Asie centrale qui ne peut faire le voyage à la Mecque peut remplacer celui-ci par un pèlerinage chez lui, mais il doit alors l’accomplir plusieurs fois dans sa vie.
Mais c’est aussi un pays laïc
C’est sous l’occupation soviétique que la laïcisation de la société a commencé. Dans les années 20, Staline mit fin aux concessions faites jusqu’alors par le régime soviétique à l’Islam . Il ordonna aux femmes de quitter le voile en public. De retour à la maison, certaines d’entre elles étaient tuées par leurs maris.
Le régime communiste est à l’origine de l’interdiction de la polygamie et des mariages forcés. L’influence de l’Islam fut donc réduite considérablement, par la force.
La laïcisation de la société ouzbek imposée par les soviétiques s’est poursuivie durant tout le XXème siècle et se confirme aujourd’hui avec le pouvoir actuel. On peut citer comme marques de laïcisation moderne : interdiction de porter le voile (les femmes portent généralement un foulard traditionnel aux couleurs vives, noué à l’arrière, comme nos paysannes d’autrefois), l’instauration des fêtes laïques comme celle du melon en septembre (Koum Saili) ou celle du coton en décembre (Pakhta Bairam), le mariage civil obligatoire, la reconnaissance du travail féminin dans l’artisanat d’abord puis en usine, l’école obligatoire pour les filles et les garçons, en uniforme !
Nous n’avons perçu que les marques d’un Islam tolérant. La population est accueillante, aucun reproche -même tacite- devant nos comportements occidentaux. Les familles en pèlerinage acceptent volontiers d’être photographiées et même nous le demandent.
Quant à la consommation d’alcool, elle est proposée dans tous les restaurants. Le vin ouzbek est le fruit d’une longue histoire. Aujourd’hui, le Chakhrisabz se déclare le meilleur vin au monde ! Mais la boisson traditionnelle reste le thé – vert ou noir – que l’on boit partout et toute la journée.
Ce qui pourrait illustrer ce mélange de religieux et de laïc est cette image : le président Karimov, à la tête du pays depuis plus de vingt ans et rattaché au parti communiste, prête serment sur le Coran.
Ouzbekistan 2014
Merci Dominique pour ce récit à la fois instructif et tonique qui rappelle et complète bien la soirée de samedi.