Lorsque la Grèce s’efface devant la puissance romaine, Rome a déjà une longue histoire. Et aussi une légende commencée avec Romulus et Remus, ces deux frères jumeaux descendants d’Énée, le héros troyen.
Une longue histoire qui est aussi un cas d’école : grandeur et décadence d’une civilisation tellement prospère qu’elle va attirer ses voisins au point de succomber sous leur nombre et de disparaître…
L’unité européenne n’aura-t-elle duré que deux siècles, ceux de la pax romana ? Non. La chrétienté va prendre le relais et s’efforcer de maintenir l’unité spirituelle du continent. Et puis elle va se diviser à son tour. Décidément, l’histoire européenne ne sera donc jamais un long fleuve tranquille ?
# Naissance de Rome
Les plus anciennes traces d’habitat remontent au VIIIe siècle avant JC. Ce sont des cabanes situées sur la colline du Palatin, habitées par des Latins, les premiers occupants du site.
Vers 600 avant JC, les Étrusques qui occupaient le nord de l’Italie envahissent le Latium et s’y installent, les rois étrusques choisissent de fonder une ville près du Tibre. Le site est intéressant : des collines (sept, évidemment), un fleuve, la proximité de la mer… Ils assèchent les marécages, construisent une muraille autour de la cité. Rome est née.
Un peu de légende
Romulus et Rémus, deux jumeaux, sont des descendants d’Enée (un des héros de la ville de Troie) et fils de Mars (le dieu de la guerre) et de la vestale Rhéa Silvia . A leur naissance, ils ont été jetés dans le Tibre par Amulius (leur oncle), pour une assez ténébreuse histoire de prééminence sur la ville latine d’Albes (histoire que je pourrais détailler mais qui ne me paraît pas essentielle pour l’avenir de l’Europe ! ). Et bien sûr ils ont été recueillis par une louve.
Les deux frères grandissent et décident de créer une ville mais chacun veut le pouvoir : alors Romulus tue son frère, il fonde Rome en 753 avant JC.
Telle est la légende rapportée par Virgile dans« l’Enéide» et Tite-Live dans son «Histoire romaine», pour donner à Rome une origine prestigieuse.
# La Monarchie
L’existence de Romulus et aussi des trois premiers rois de Rome relève donc du mythe. Mais trois rois ont ensuite réellement existé : Tarquin l’Ancien (-616) qui se lance dans une politique de grands travaux (le forum, le grand cirque, les égouts), Servius Tullius (-575) qui instaure le « cens » (un impôt direct proportionnel aux richesses de chaque citoyen), Tarquin le Superbe (-534) qui poursuit la politique de grands travaux de Tarquin l’Ancien.
Mais ce Lucius Tarquinius Superbus est un triste sire : il a pris le pouvoir en assassinant son beau-père, il gouverne de façon tyrannique, il interdit les assemblées publiques… Quand en plus son fils (Sextus Tarquin) viole Lucrèce (qui a été désignée comme la plus vertueuse des femmes), le peuple se soulève, le Sénat décide que la coupe est pleine, il abolit la monarchie et instaure la république en -509.
# La République
- L’organisation politique de la République
La société romaine est divisée en deux groupes : les Patriciens (les riches propriétaires terriens issus des premières familles installées à Rome et qui disposent de l’ensemble des droits politiques) et les Plébéiens (le peuple, souvent des paysans).
En -578, la réforme de Julius Tellius avait aboli les privilèges politiques attachés à la naissance et fondé la hiérarchie des citoyens sur leur fortune. Au cours des cinq siècles de la République, les Plébéiens vont progressivement conquérir des droits semblables à ceux des Patriciens.
Pour gérer la République, Patriciens et Plébéiens se réunissent en assemblées (les comices) qui votent les lois et élisent les magistrats, notamment les deux consuls qui dirigent la cité et l’armée.
Les anciens magistrats sont membres de droit d’une assemblée particulière et puissante, le Sénat, qui contrôle l’action des responsables publics.
Comme on peut le voir en cliquant dans le schéma ci-contre, le Sénat peut, en cas de crise, nommer pour six mois un dictateur disposant de tous les pouvoirs. Comment ne pas évoquer à ce sujet Lucius Quinctius Cincinnatus, modèle de vertu et d’humilité ? En voici l’histoire, un peu simplifiée :
Cincinnatus a été nommé consul en -460 puis il s’est retiré pour se consacrer à la culture de ses terres. Deux ans plus tard, en -458, les Èques (un peuple italique du nord est du Latium) rompent les traités de paix et envahissent le territoire latin. Les tribuns de la plèbe, en conflit avec les Patriciens, s’opposent à la mobilisation.
Une délégation de sénateurs vient supplier Cincinnatus de prendre la charge de dictateur. Il sait que son absence pendant la période des récoltes risque de ruiner sa famille mais il accepte. En seize jours il défait les Èques à la bataille du mont Algide puis il abdique et retourne cultiver son champ.
Voilà une compréhension de la « Chose publique» qu’on aimerait voir plus souvent, et pas seulement dans la république romaine !
La citoyenneté romaine a pendant longtemps été l’apanage exclusif des Romains. Elle a ensuite été accordée à des cités entières, voire aux peuples sous domination romaine : peuples d’Italie (-90), habitants de Gaule cisalpine (-49)… jusqu’à l’Edit de Caracalla qui, en 212, accordera la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire. L’octroi progressif de cette citoyenneté va en faire un puissant levier d’intégration et d’adhésion des populations étrangères à la société romaine.
D’autant que les cités conservent leur autonomie avec, toutefois, un statut dépendant de leur capacité à se « romaniser », avec l’utilisation effective de la langue latine, du droit latin, etc.
A noter que les femmes ne bénéficient pas de la plupart des droits civiques attribués aux hommes. Elles disposent toutefois de droits souvent absents dans d’autres cultures : leur témoignage est recevable devant un tribunal, elles peuvent hériter à part entière, elles ont droit comme les hommes à l’éloge funèbre lors de leurs funérailles, enfin (privilège faisant suite à l’enlèvement des Sabines !), les Romaines sont dispensées de tout travail domestique ou agricole (excepté filer la laine et élever les enfants !).
- L’esclavage à Rome
Les esclaves représentent environ 30% de la population romaine. Avec un tel chiffre, on peut raisonnablement penser que l’essentiel des grandes réalisations et de l’économie même de Rome ont été basés sur le travail et l’exploitation des esclaves.
On devient esclave en tant que prisonnier de guerre ou comme enfant d’esclave. On peut le devenir également pour dettes, déchéance des droits civiques ou mauvaise conduite.
L’esclave est sous la domination d’un «pater familias» (ou de l’Etat), son statut est ambivalent, à la fois homme et marchandise. Sa valeur monétaire incite le maître à en prendre soin : le nourrir, le vêtir et le loger. Le maître n’a eu droit de vie et de mort qu’avant la République, punir injustement un esclave est considéré comme une infraction, pouvant être lourdement sanctionnée.
Les esclaves agricoles et surtout dans les mines sont particulièrement mal traités, tandis que les esclaves domestiques, qui côtoient la famille, sont plutôt favorisés et très souvent affranchis à terme. Dans certaines grandes maisons, des esclaves peuvent avoir des métiers «nobles» : secrétaire, comptable, précepteur, etc.
Un esclave affranchi devient un «client» du maître et ne jouit pas encore de tous les droits du citoyen, ses enfants par contre seront des hommes libres à part entière.
Les révoltes d’esclaves sont relativement fréquentes en milieu rural, là ou les conditions sont les plus dures (Sicile, Campanie…). Chacun a en mémoire la grande révolte de -73, dirigée par Spartacus, un ancien gladiateur. Spartacus parvient à lever une armée qui comptera jusqu’à 60.000 hommes et vaincra à plusieurs reprises les divisions romaines, il ne sera finalement vaincu qu’en -71. La répression sera féroce : six mille esclaves seront crucifiés sur la Via Appia, entre Rome et Capoue.
Les conditions de vie des esclaves vont progressivement s’améliorer à partir de l’Empire, pendant lequel il n’y aura pratiquement plus de révoltes. Toutefois les premières lois les protégeant réellement ne seront promulguées que sous Hadrien (117 – 138).
Au IVème siècle, l’Empire romain devient chrétien sans que le principe de l’esclavage ne soit remis en cause. Il va ensuite régresser en Europe, le servage médiéval le remplaçant. Seule l’Espagne wisigothique va garder une importante population servile, jusqu’à l’invasion musulmane, malgré l’opposition des populations.
- L’extension de Rome pendant la République
Du VIème au IVème siècle, la politique de Rome est d’étendre son influence sur les cités voisines : conflit avec les Sabins (et enlèvement des Sabines…), lutte contre les Latins, guerre contre les Etrusques…
Du IVème au IIIème siècle, Rome s’assure la maîtrise de l’Italie toute entière : soumission des Etrusques, fin des incursions gauloises dans le nord de l’Italie, défaite de Pyrrhus et suprématie sur tout le sud de l’Italie.
Du IIIème au IIème siècle, Rome conquiert tout le pourtour méditerranéen :
- Guerres puniques contre Carthage (Delenda Cathago : il faut détruire Carthage !) et prise de possession de la Sicile, de la Sardaigne et de la Corse.
- Annexion de l’Hispanie. La Gaule transalpine devient également une province romaine en -121.
- Guerres macédoniennes et domination de l’ensemble de la péninsule grecque, destruction de Corinthe et récupération du royaume de Pergame. C’est à ce moment que Rome affirme sa suprématie sur la Grèce (et que se situe la fin de mon article précédent).
- Crises et fin de la République
La succession des guerres et des conquêtes entraîne une profonde crise économique et sociale : l’afflux d’esclaves augmente le chômage des citoyens romains, les petits propriétaires, ruinés, vendent leurs terres aux grands propriétaires des latifundia et rejoignent la plèbe urbaine.
Des Germains envahissent la Gaule et écrasent à plusieurs reprises les armées romaines, les nouveaux généraux se disputent le pouvoir… Pompée s’allie alors à Crassus et à César pour former le premier triumvirat.
Jules César, gouverneur de la province de la Gaule narbonnaise, profite des divisions entre les tribus gauloises (une vieille habitude) pour envahir toute la Gaule. Vercingétorix prend la tête de la révolte contre les Romains mais est finalement vaincu à Alésia en 52 avant JC. Jules César en profite pour écrire De la Guerre des Gaules, un tract politique pas vraiment objectif, surtout destiné à le faire mousser auprès du Sénat.
César revient ensuite en Italie et franchit le Rubicon (Alea jacta est ! ), entrant ainsi dans l’illégalité puisque son commandement militaire se limite juridiquement à la Gaule.
C’est le début de l’épreuve de force avec Pompée qui s’achèvera un an et demi plus tard par la défaite de celui-ci à Pharsale.
César est ensuite nommé dictateur à vie par le Sénat en -44. Il meurt assassiné cette même année lors d’un complot dirigé par Cassius et Brutus (Tu quoque…)..
A la mort de César, Octave (son fils adoptif), Marc Antoine et Lépide forment un second triumvirat, puis Octave reste seul maître de Rome et inaugure l’ère impériale qui durera jusqu’au Vème siècle.
# L’Empire
## Le Haut Empire (Ier au IIIème siècle)
- La Pax Romana
Le long règne d’Octave ouvre l’ère de la «Pax Romana», deux siècles allant de la fin des guerres civiles (en -29) jusqu’à la mort de Marc-Aurèle (en 180). Une période durant laquelle Rome impose son autorité et accorde sa protection aux divers peuples qui constituent son Empire.
La guerre est reléguée aux frontières où un imposant dispositif de défense, le limes, permet de contenir les peuples barbares.
La climat de paix qui règne à l’intérieur est propice à la diffusion du mode de vie romain. Des villes se construisent partout sur le modèle de Rome, avec un plan régulier et les monuments de la romanité : forum, basiliques, temples, arcs de triomphe, thermes, cirques…
Les fêtes, spectacles et distributions contribuent au maintien de la cohésion sociale.
Un vaste réseau routier est mis en place (notamment en Gaule) avec plus de 90 000 kilomètres de voies et 200 000 kilomètres de chaussées secondaires. Ces routes facilitent le transport des troupes mais elles stimulent aussi les échanges commerciaux entre Rome et ses provinces. C’est aussi par les voies romaines que les idées nouvelles (dont le christianisme) se propagent d’un bout à l’autre d’un Empire qui englobe, pour la première fois, l’Orient et l’Occident.
- La société et l’économie du Haut Empire
Dans les territoires conquis, la paix et la prospérité exercent une grande attractivité, notamment auprès des élites qui souhaitant bénéficier de l’opulence et du confort apportés par la civilisation romaine.
Mais peut-on parler de conquête ? Comment quatre légions romaines auraient-elles pu conquérir la Gaule toute entière (ne prenez pas De la guerre des Gaules au pied de la lettre !), comment une garnison symbolique de 1.200 hommes cantonnés à Lyon aurait-elle pu maintenir la paix ? S’il y a eu conquête, il y a surtout eu adhésion au confort, aux avantages de la technique, de l’urbanisme, d’une administration efficace…
L’Empire compte alors environ 80 millions d’habitants, et Rome plus de un million d’habitants. Le Latin s’impose dans les provinces occidentales comme langue de l’administration et de l’armée, le grec demeurant la langue internationale à l’est des Balkans et pour les élites.
Les activités commerciales se développent sur l’ensemble du territoire européen, le trafic maritime est intense en Méditerranée, les liens commerciaux atteignent aussi la Baltique, l’Afrique noire, l’Inde et la Chine.
En règle générale, la plupart des richesses produites viennent de l’agriculture, où la concentration des propriétés se confirme. Les activités artisanales sont assez peu développées (textile, outillage, poterie), l’activité industrielle est quasi inexistante, sauf en Espagne (mines) et dans les régions du Danube. Globalement, les progrès techniques en matière de production de biens sont faibles, l’esclavage ne les rendant pas nécessaires.
- Les Empereurs du Haut Empire
En -27, Octave prend le titre d’Auguste et devient le premier empereur de Rome, concentrant tous les pouvoirs. Il fait du Sénat la principale institution civile de l’Etat, en lui affectant un certain nombre de prérogatives dans les domaines de l’administration civile, des finances, de la justice et de la monnaie.
Les provinces sont gérées par des préfets qui s’appuient sur les élites locales, contribuant ainsi à la romanisation.
A la mort d’Auguste (14) vont lui succéder : Tibère, Caligula, Claude puis Néron
Claude est un grand administrateur : sous son règne, beaucoup d’affranchis sont intégrés dans la haute fonction publique et il crée les conditions de la paix sociale. Cinq provinces sont ajoutées à l’Empire : la Bretagne, la Lycie, la Mauritanie, la Norique et la Thrace.
Néron, dernier empereur de la dynastie julio-claudienne, se suicide en 68 après que le Sénat l’ait déclaré «ennemi public».
L’année 68 voit alors le retour de la guerre civile. Trois empereurs vont se succéder avant que Vespasien (69 – 79) ne ramène la paix intérieure. Il rétablit les finances de l’Empire et intègre les élites provinciales dans la conduite des affaires publiques.
Lui succède alors la dynastie des Antonin (96 – 192). Le règne d’Hadrien (117 – 138) correspond à l’apogée de l’Empire romain. Il développe une administration centrale et provinciale forte et compétente. Vers 130, le grand juriste Salvius Julianus codifie l’ensemble des lois dans «l’Edit perpétuel», qui donnera plus tard naissance au «Code civil» que nous connaissons encore. En ce sens, l’Europe est vraiment romaine !
Sous la dynastie des Antonins (Antonin, Marc Aurèle…) les empereurs mènent une politique de consolidation plus que de conquêtes, et doivent lutter contre les Barbares sur le Danube.
La dynastie des Sévères (192 – 235), qui succède à celle des Antonins, met fin à l’âge d’or romain. Le Sénat est supprimé au profit d’un prince désormais dieu vivant. Les dépenses publiques et les impôts augmentent de façon vertigineuse. L’Empire doit faire face à des difficultés agraires, des famines, une épidémie de peste… Une crise politique s’ouvre pendant laquelle la « garde prétorienne » fait et défait les empereurs.
- La crise du Haut Empire
A partir du IIIème siècle, l’Empire s’affaiblit progressivement (tout en connaissant une diversité des situations régionales et des moments de redressement), suite à plusieurs phénomènes :
- La pression des puissances extérieures : l’Empire Sassanide en Asie et les Huns qui repoussent les peuples barbares vers l’ouest du territoire romain.
- La mauvaise gestion des empereurs qui se succèdent, dilapidant le budget en constructions inutiles et en fêtes dispendieuses.
- Les difficultés économiques internes, les civils acceptant de plus en plus difficilement les lourds sacrifices imposés par les militaires pour protéger l’Empire. Des terres restent en friches, l’industrie stagne, la prospérité du pays s’étiole.
- L’Edit de Caracalla qui donne la citoyenneté romaine à tous les citoyens libres de l’Empire : une avancée sociale, certes, mais qui prive l’armée de l’essentiel de ses recrues (les citoyens romains sont dispensés du service militaire).
- Les épidémies de peste qui entraînent une crise démographique et économique, aggravée par une succession inaccoutumée de tremblements de terre.
## Le Bas Empire (fin du IIIème au Vème siècle)
- L’instabilité politique
Entre 235 et 268, seize Empereurs vont se succéder, faits et défaits selon le sort des armes. Les Empereurs résident de moins en moins à Rome et sillonnent l’Empire pour y affronter les barbares (Alamans et Germains sur le Rhin, Bagaudes au nord de la Gaule…).
En 284, Dioclétien met en place une nouvelle organisation du pouvoir avec la tétrarchie : deux empereurs (l’un chargé de l’est, l’autre de l’ouest de l’Empire) secondés par deux «augustes» responsables militaires.
En 312, ce système s’effondre face aux problèmes de succession. Constantin doit affronter ses trois rivaux et, à la veille de la bataille, il fait un rêve : in hoc signo vinces – par ce signe tu vaincras. Dans le ciel flamboie le monogramme du Christ ! Constantin gagne (évidemment !) la bataille et réunifie l’Empire sous sa seule autorité.
En 313, il publie l’Edit de Milan, qui donne «aux chrétiens comme à tous le droit d’exercer la religion de leur choix». La liberté religieuse apparaît ainsi dans la culture européenne.
En 324, Constantin choisit Byzance comme capitale de l’Empire, à laquelle il donne le nom de Constantinople. Il y met en place un deuxième Sénat, la nouvelle capitale devenant de fait le siège du pouvoir impérial, à la place de Rome.
- La fin de l’Empire romain d’Occident
A partir des années 370, les Huns du nord, venus de Hongrie, envahissent l’est de l’Europe et mettent en mouvement les populations Goths vers la partie occidentale de l’Empire. De même, la poussée des Avars (autre peuple asiatique) amène les Slaves et les Lombards à pénétrer en Italie.
En 421, les Huns sont vaincus (par une coalition des Romains et des Germains) mais les populations germaniques (Goths, Lombards, …) continuent leur migration vers l’ouest.
On assiste alors à une véritable germanisation de l’Empire mais les envahisseurs n’ont pas le rôle fédérateur qu’assurait l’administration romaine, vu leur diversité et la brutalité de leur organisation : ils préfèrent mettre les villes à sac plutôt que de lever un impôt !
Les deux parties de l’Empire connaissent alors des sorts différents, entre un Occident instable, occupé par les barbares, avec de grandes disparités sociales et économiques ; et un Orient plus homogène, prospère, disposant d’une autorité politique efficace à Constantinople.
En 395, à la mort de Théodose, l’Empire est officiellement partagé en deux, le fils aîné, Arcadius, recevant l’Orient et le cadet, Honorius, l’Occident.
De 395 à 423, les provinces d’Occident (Bretagne, Gaule, Hispanie…) échappent progressivement au contrôle d’Honorius.
Les frontières du Rhin et du Danube sont de plus en plus menacées par les incursions de tribus germaines, attirées par le faste de Rome. Les Wisigoths entrent en Italie puis dans le sud de la Gaule et s’installent en Espagne, les Goths s’installent en Aquitaine, les Burgondes à l’est de la Gaule, les Francs Saliens au nord. Les Vandales traversent l’Italie et s’installent en Afrique du Nord.
Les Empereurs d’Occident se succèdent de façon éphémère et leur pouvoir se délite. Finalement, en 476, un officier du nom d’Odoacre destitue le dernier Empereur d’Occident (Romulus Augustule) et envoie les insignes impériaux à Constantinople. C’est la fin de l’Empire romain d’Occident (l’Empire romain d’Orient va subsister jusqu’à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453).
# L’essor du christianisme
Après la mort du Christ, Paul (né en Turquie) convertit et diffuse le message chrétien au cours de ses voyages en Mer Egée, en Asie Mineure, en Grèce, en Italie et peut-être en Espagne. Mais la religion chrétienne reste persécutée par les autorités politiques de l’Empire (d’autant que l’empereur a été divinisé) et les chrétiens doivent pratiquer leur religion dans la clandestinité.
En 177, sous Marc Aurèle, le supplice de Blandine épargnée par les lions dans l’amphithéâtre des Trois Gaules, à Lyon, marque toutefois un tournant : le courage et la conviction des chrétiens entraînent de plus en plus l’adhésion des populations, les aristocrates eux-mêmes se convertissent (la mère de Constantin, Hélène, suit le culte chrétien en cachette). Constantin également se convertit au christianisme sur son lit de mort, en 337.
Désormais les chrétiens ne sont plus persécutés et les conditions du développement de l’Eglise chrétienne sont réunies. En 384 l’empereur Théodose proclame l’Edit de Thessalonique qui impose le christianisme comme religion officielle de l’Empire romain.
L’Eglise chrétienne s’organise alors sur le modèle de l’administration romaine, avec la mise en place des diocèses calquées sur les préfectures romaines.
Et, paradoxalement, les invasions barbares vont être la chance de l’Eglise : les chefs barbares ne sont pas très doués pour l’administration, les évêques le sont ! L’Europe est devenue une tour de Babel avec une multitude de dialectes, l’Eglise dispose d’une langue commune : le Latin !
Progressivement, c’est toute la population de l’Empire qui devient chrétienne puis, au delà des frontières, les peuples barbares eux aussi.
L’Europe unifiée par l’administration romaine a disparu sous le choc des invasions, la chrétienté va maintenir la flamme ténue de l’unité européenne dans les ténèbres du Moyen Age… mais ceci est une autre histoire, qui fera l’objet du prochain article !
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Et l’Europe au cours de cette période ?
La Grèce a incontestablement « créé » l’Europe, au niveau du nom, bien sûr, mais aussi aux niveaux de la pensée intellectuelle, philosophique, politique, qui vont marquer l’Occident. Toutefois le territoire façonné par le Grèce correspond plus au pourtour méditerranéen qu’au territoire européen tel que nous le connaissons aujourd’hui et, à cet égard, c’est plutôt Rome qui a parachevé la création de l’Europe, lui léguant en outre ses bases administratives et juridiques.
Quels ont été les ferments de cette création ? La force et la recherche du pouvoir, bien sûr, les Romains visant à dominer leurs voisins, puis l’Italie, puis les territoires grecs et finalement l’Europe toute entière. Mais pas essentiellement la force. Et c’est ce qui fait de la construction romaine un cas si intéressant dans l’histoire de l’Europe : Rome a su créer un « modèle » suffisamment attractif pour entraîner l’adhésion volontaire des peuples, conquis par les apports de la civilisation romaine, plus encore que par la force des armes.
C’est pourquoi je mettrai l’accent sur les apports suivants, qui trouvent évidemment un écho dans la construction de l’Union Européenne que nous connaissons :
- La Pax Romana : pendant plus de deux siècles, le territoire européen a globalement connu la paix et la prospérité, une paix acceptée et non imposée, si l’on se réfère aux faibles moyens militaires mis en oeuvre par l’Empire à cette période.
- Le développement économique, apportant une facilité et un confort de vie sans commune mesure avec ceux qui prévalaient alors en Gaule, en Germanie, chez les « barbares », qu’il s’agisse de l’habitat romain, de la structure des cités, de l’hygiène, de la magnificence des monuments…
- Un ensemble d’infrastructures au service de ce développement : voies romaines, aqueducs et circuits d’alimentation en eau, thermes.
- Un commerce étendu à toutes les parties du territoire romain, permettant un échange et une large diffusion des produits (essentiellement agricoles) exportés vers les marches de l’Empire ou importés de celles-ci (produits industriels).
- Une monnaie commune au service de ce commerce, le « Solidus ».
- Une administration efficace et pragmatique, mettant en oeuvre une remarquable politique d’intégration avec l’extension de la citoyenneté romaine, l’autonomie et le maintien des droits des cités ; l’administration romaine se donnant par l’impôt les moyens de son efficacité.
- Le subtil équilibre entre le maintien des langues vernaculaires et l’extension des deux langues d’échanges : le romain dans les administrations et les armées, le grec dans les relations des élites (et avec le Latin, l’Eglise saura pendant longtemps sauvegarder cet apport).
Mais on peut aussi s’interroger sur les causes de la décadence qui, en trois siècles, ont conduit l’Europe d’une civilisation organisée et prospère à la régression des premiers siècles du Moyen Age.
Bien sûr et au premier degré, ce furent les « invasions barbares » et l’incapacité des militaires à en endiguer le cours qui ont entraîné cette chute. Mais pourquoi la capacité d’intégration qui prévalait auparavant a-t-elle été mise en échec ? Là encore, les crises subies par la civilisation romaine ne sont pas sans échos avec la situation contemporaine, et je vais me permettre de les expliciter :
- Le traumatisme de l’invasion des Huns a mis en mouvement une population germanique cherchant refuge sur le territoire romain, d’une importance sans précédent avec ce que l’Empire avait connu auparavant.
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Comment ne pas faire le parallèle avec les populations du Moyen-Orient en Syrie, en Irak, en Libye, en Afrique sub-saharienne, traumatisées par le terrorisme et qui cherchent refuge en Europe. Il est clair que cela va constituer un des grands défis de l’Europe dans les prochaines années : comment maintenir la paix et la prospérité si l’Europe cherche à maintenir son opulence en se barricadant, si elle ne sait pas mettre en oeuvre une politique d’immigration et d’intégration dont elle-même, d’ailleurs, a également besoin.
- L’extension de l’Empire a conduit le pouvoir à se concentrer sur l’Orient, plus stable et plus homogène, laissant ainsi l’Occident se débrouiller face aux invasions.
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Là encore l’Europe est face à un choix, celui de la solidarité Nord-Sud ou du risque d’éclatement. Mais la solidarité ne va pas sans une politique commune et donc une certaine perte de souveraineté… Vaste débat dans une Europe démocratique et actuellement majoritairement libérale !
- La création de richesse interne a été insuffisante pour à la fois répondre aux besoins de la défense et au maintien de la paix sociale : la crise économique et les troubles sociaux sont venus s’ajouter à la crise militaire.
Cette création de richesse a été obérée par deux facilités : le recours excessif aux importations et le développement de l’esclavage, qui ont dissuadé les citoyens aisés d’innover et d’investir, accroissant le chômage et ajoutant ainsi aux troubles sociaux.
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Comment l’Europe empêtrée dans la crise, ne disposant pratiquement plus de marges de manœuvre budgétaires pour investir, coincée par les contraintes écologiques, va-t-elle pouvoir recréer de la richesse et la redistribuer équitablement ?
Quoi qu’en pensent les déclinistes de tous poils, les raisons d’une sortie de crise commencent à se faire jour :
– Prise de conscience par les responsables financiers de l’impasse d’une politique exclusive d’austérité (au FMI, à la BCE, à la Commission européenne et bien sûr dans les pays du sud).
– Crainte des chefs d’Etat et de gouvernement de voir les peuples se détourner de la construction européenne, alors même, ils le savent bien, que c’est la seule chance de continuer à peser sur les affaires du monde.
– Renouvellement de la pensée économique, dont on commence à voir les prémices : analyse des inégalités de patrimoines et du caractère insupportable de leurs niveaux, lutte contre les paradis fiscaux et le secret bancaire qui privent les Etats de leurs revenus fiscaux, mise en place (certes trop lente) de la taxation des produits financiers toxiques…
– Prise en compte par les Etats Unis et la Chine des effets délétères du réchauffement climatique et opportunités apportées par la transition énergétique, rebattant les cartes de la production et de l’emploi.
– …
Non, décidément, l’Europe n’est pas condamnée aux siècles obscurs du Moyen-Age qui ont fait suite à la chute de Rome et que vous (re)découvrirez dans le prochain article.
La Rome antique
Une légende tenace attribuait un rôle majeur dans la chute de l’empire romain au saturnisme causé par l’usage du plomb pour la distribution des eaux et la vaisselle. Voir un article ici qui tord le cou à cette thèse.
La Rome antique
Salut Jean,
Effectivement dans mes recherches pour écrire l’article je n’avais pas trouvé trace de cette hypothèse pouvant expliquer la décadence de Rome, pourtant souvent évoquée. En allant chercher plus loin, j’étais moi aussi tombé sur l’article du CNRS que tu cites. Merci d’avoir fait cette précision.
La Rome antique
Je suis un peu en retard dans mes lectures, mais cet article etait un plaisir a lire. Rappels historiques tres interessants (ce ne sont pas vraiment des rappels, j’ai appris pas mal de choses) et je trouve tes reflexions finales tres pertinentes, avec le parallele entre le declin de l’empire romain et la crise europeenne actuelle.
Bravo, je vais m’attaquer au Moyen-Age et rattraper mon retard.
Pierre