Après les cinq « siècles obscurs » du Haut Moyen-Age, l’Europe va entrer dans une période formidablement contrastée :
– Trois siècles d’effervescence, de découvertes et de prospérité : le Moyen-Age Central, malheureusement obéré par l’épouvantable aventure des Croisades.
– Puis deux siècles macabres, le Moyen-Age Tardif, marqués par les guerres et les épidémies.
Mais c’est aussi le [Trecento|Le Trecento correspond au 14ème siècle italien, et donc au mouvement de la pré-Renaissance], la concurrence entre les cités italiennes, une émulation économique, artistique et architecturale qui ouvre déjà les perspectives de la Renaissance.
Avant de commencer votre lecture, je vous propose cette petite astuce : si vous trouvez des mots soulignés d’un fin tireté, vous pouvez les survoler avec la souris pour avoir une explication complémentaire. [Essayez donc ici !|Vous voyez que ça marche !]
# Le Moyen-Age central
(du XIème au XIIIème siècle)
## Population et société
- Terreurs de l’An mille ?
A partir de 980 et jusqu’en 1030, l’Occident vit-il dans l’appréhension de la prophétie de Saint Jean ? Après mille ans pendant lesquels il aura été enchaîné, l’Antéchrist surgira et le mal envahira le monde ! Il est de bon ton de voir le diable partout et de le faire savoir, comme ce bon moine, Raoul Glaber : «Je vis au pied de mon lit un petit monstre noir à forme humaine, la face émaciée, le cou grêle, une barbe de bouc…».
En ces premières années du siècle, comme pour donner raison au texte de Jean, les événements malheureux se multiplient : pluies diluviennes, hivers interminables, inondations, provoquant disettes et famines. Fort heureusement, pas plus que l’an 1000, l’année 1033 n’apporte la fin du monde ! Pour tout vous dire, les terreurs de l’an mille furent inventées par un chroniqueur du XVIème siècle en mal de copie. Et le moine Glaber était un peu dérangé…
Ce qui est vrai, c’est que passés les traumatismes des invasions des siècles précédents, un sentiment nouveau de soulagement s’empare alors de tous, une frénésie de constructions et de découvertes anime l’Occident.
- Découvertes scientifiques et techniques
En mathématiques, système décimal et algèbre sont transmis par les Arabes, invention de la lunette de vue, observations du ciel…
Les techniques navales s’améliorent : invention de l’astrolabe, redécouverte de la boussole, mise au point de la voile latine et du [gouvernail d’étambot|un gouvernail placé à l’arrière dans l’axe de la coque] (également apportés par les Arabes). Toutes ces techniques permettront les grandes découvertes qui vont suivre.
Dans le domaine agricole, les progrès sont également spectaculaires, avec l’invention de nouveaux équipements (collier d’épaule, charrue métallique, moulins à eau et à vent) et une nouvelle technique de culture : l’assolement triennal, qui évite l’appauvrissement des sols et améliore les rendements.
- Renouveau agricole et croissance de la population
Après l’an mille et jusqu’en 1300, la température plus élevée du continent permet la mise en culture de terres encore en friche : forêts nordiques, marais atlantiques, maquis méditerranéens. Seigneurs et abbayes attirent des colons défricheurs et leur proposent de créer de nouveaux villages, dont la toponymie garde la mémoire : Villeneuve, Bourgneuf, [Sauveté|Nom souvent donné à un village bénéficiant de franchises, suite à un défrichement]…
Avec les progrès de l’agriculture, les productions augmentent et se diversifient, les surplus peuvent être commercialisés (vigne, lin…), d’autant que la sécurité revenue et l’amélioration des voies de communications permettent de relancer les transports.
Meilleure alimentation, meilleures conditions de vie, la population européenne augmente considérablement, elle passe de 30 millions en l’an 1000 à 80 millions en 1347.
- Développement des villages et des villes
Cette augmentation de la population concerne les villages mais aussi de nouvelles agglomérations construites aux carrefours d’échanges : les «bourgs», où les habitants, les «bourgeois», se consacrent à l’artisanat et au commerce.
De grands pôles urbains commerciaux apparaissent également :
– en Italie, où Venise, Gènes, Pise… contrôlent les échanges méditerranéens.
– dans les Flandres et en Mer Baltique, où les Hanses développent le commerce en Mer du Nord, de Londres à Bruges et Novgorod.
– En France, avec notamment Lyon et les foires de Champagne.
- La féodalité
Souvenez-vous, Charlemagne avait créé la féodalité en imposant les «serments de fidélité» à des vassaux qui lui devaient allégeance et soutien militaire, et recevaient en échange un «fief».
A partir du Xème siècle, le fief devient héréditaire et transmis au fils aîné pour éviter le morcellement des propriétés. Il structure la vie des populations : les serfs appartiennent à leur seigneur, ils lui doivent redevances et prestations de travail. En contrepartie, le seigneur est censé assurer la paix, rendre la justice, entretenir les voies de communication, installer des péages.
Au XIème siècle les [mottes castrales|Un donjon en bois construit sur une « motte » de terre entourée d’une palissade], trop fragiles et soumises aux incendies, sont progressivement remplacées par des châteaux forts en pierre (Langeais, Loches…) où vivent le seigneur et ses chevaliers, compagnons d’armes a priori chargés d’assurer la sécurité.
En réalité, ce système, loin de garantir la paix, développe les «guerres privées», seigneurs et chevaliers s’en donnant à cœur joie pour attaquer leurs voisins et piller les campagnes, au grand dam des paysans qui les cultivent.
L’Eglise s’efforce de limiter cette violence avec la «trêve de Dieu» (les armes sont interdites du mercredi au lundi) et le «droit d’asile» : si quelqu’un se réfugie dans une église ou au pied d’un calvaire, il est interdit d’y toucher. Il suffit parfois de toucher un anneau scellé dans le mur pour être sauvé !
## L’Europe des royaumes et des empires
- L’Angleterre
– Guillaume le Conquérant
Au XIème siècle et suite aux invasions précédentes, le nord de l’Angleterre est une colonie viking dirigée par un anglo-normand (Edouard, puis Harold).
En Normandie, le duc Guillaume, suite à une sombre histoire de serment non tenu, décide de passer en Angleterre pour y récupérer le trône promis et usurpé par Harold (je vous passe les détails mais tout est décrit dans la [tapisserie de Bayeux|C’est une broderie de 70m de long, qui justifie l’invasion de Guillaume et sa légitimité au trône.]).
Il gagne la bataille d’Hastings (1066) et soumet Londres, puis l’Ecosse. Il réorganise alors le pays dans le cadre d’une union entre la Normandie française et l’Angleterre.
– Les Plantagenets
Au XIIème siècle, Mathilde, héritière de l’Angleterre, épouse le comte d’Anjou (surnommé «[Plantagenêt|Parce qu’il porte un branche de genêt à son chapeau !] »). Le territoire anglo-normand s’en trouve considérablement augmenté avec l’adjonction de l’Anjou, du Maine et du Poitou. Plus encore lorsque Henri II Plantagenêt épouse Aliénor d’Aquitaine et récupère tout le sud-ouest de la France. Le roi d’Angleterre devient le plus puissant des princes européens et possède la moitié des territoires francs !
En 1189, le troisième fils d’Aliénor et Henri II devient héritier d’Angleterre sous le nom de «Richard Cœur de Lion». A sa mort lui succède son frère, Jean sans Terre, ainsi nommé parce que, n’étant pas destiné à devenir roi, il n’a pas reçu de terre en apanage. Son règne est désastreux : manquant de ressources, incapable de s’assurer le soutien des barons anglais, en conflit permanent avec le roi Philippe II de France, il perd successivement la Normandie, l’Anjou, le Maine et le Poitou. Battu à Bouvines en 1214, il est contraint de rejoindre l’Angleterre.
– La Magna Carta
Les barons anglais, excédés des exigences militaires et financières de Jean sans Terre et de ses échecs répétés, entrent en rébellion et contraignent le roi à signer la Magna Carta en 1215. Cette «Grande Charte des libertés d’Angleterre» garantit le droit à la liberté individuelle, limite l’arbitraire royal et établit l’habeas corpus qui empêche, entre autres, l’emprisonnement sans jugement.
C’est sans doute le document juridique le plus important dans l’histoire de la citoyenneté, qui affirme l’Etat de droit. On en retrouve encore les échos dans la «Déclaration universelle des droits de l’homme».
- La France
– Le début des capétiens
Nous avons vu comment, par un long processus, Hughes Capet a été sacré roi de France (Reims, 987) et à mis fin à la dynastie carolingienne. Quand même, des oppositions demeurent et, pendant deux siècles les rois vont faire sacrer leur fils héritier de leur vivant, pour renforcer la légitimité héréditaire de la dynastie par l’onction de l’Eglise.
Mais si le roi, sacré par l’Eglise, est légitime, il n’en reste pas moins faible, raillé par les princes mêmes qui l’ont élu. Son domaine est restreint (de Senlis à Orléans) et il lui arrive d’être détroussé par le seigneur de Monthléry ! Aussi les premiers capétiens comprennent qu’il leur faut avant tout agrandir leur pré-carré.
– Philippe Ier ? Il ne participe pas à la première croisade (1096) et profite de l’absence des grands seigneurs : c’est ainsi qu’il achète Bourges à Eudes Arpin, fort pressé de partir se croiser !
– Louis VI le Gros ? Il soumet les châtelains d’île de France, marie son fils (Louis VII) à Aliénor d’Aquitaine et étend ainsi le domaine capétien jusqu’aux Pyrénées. Mais Aliénor est infidèle ! Répudiée, elle épouse Henri II Plantagenêt, redonnant l’Aquitaine à l’Angleterre (comme vous l’avez vu ci-dessus).
– Philippe Auguste (Philippe II)
Philippe Auguste, né en 1165, va s’avérer un des monarques les plus importants de l’époque médiévale, affermissant le pouvoir royal et cadrant le régime féodal.
Il met en place une administration permanente et se dote des ressources lui permettant d’entretenir une armée professionnelle. Il utilise dès lors toutes les occasions pour agrandir son domaine : achat, confiscation des biens d’un vassal félon, victoire militaire (Bouvines), mariage…
A sa mort, son fils, Louis VIII, lui succède sans avoir dû être sacré du vivant de son père : la monarchie est vraiment devenue héréditaire.
– Saint Louis (Louis IX)
Il accède au trône en 1226 à l’âge de 12 ans, sa mère, Blanche de Castille, assurant la régence.
Il doit affronter Henri III d’Angleterre, qui n’a pas renoncé à récupérer les territoires reconquis par Philippe Auguste. Henri III, battu lors de la guerre de Saintonge, renonce à ses revendications et accepte de signer un traité de paix, qui redonne à la France ses provinces de l’ouest.
Tout au long de son règne, fort de son autorité morale et d’un sens de la justice reconnus par tous, Louis IX intervient dans toute l’Europe pour arbitrer des dissensions : en Angleterre, dans les Flandres, en Navarre, en Aragon…
En politique intérieure, son action pour une réforme de l’Etat est considérable, notamment en matière de justice et de contrôle des seigneurs (interdiction des guerres privées, répression de l’arbitraire). Par ordonnances, il renforce le droit des femmes, interdit la prostitution. Les maisons closes (signalées par du laurier) sont fermées. Connaissiez-vous l’origine de cette comptine, pas vraiment destinée aux enfants ?
Les lauriers sont coupés,
La belle que voilà…
Louis IX est aussi un roi bâtisseur et un mécène : il soutient la construction de cathédrales (Chartres, Amiens, Reims, Paris…), d’abbayes (Royaumont, Maubuisson), il fonde la Sorbonne, fait construire l’hospice des Quinze-vingt et restaurer l’Hôtel-Dieu…
Très religieux, il fait réprimer durement l’hérésie cathare.
Vis à vis de juifs, son action est ambiguë : il les protège quand ils sont injustement attaqués mais cherche aussi à les convertir, fait brûler le Talmud, impose le port de la rouelle, un disque jaune défini par le Concile de Latran en 1215.
En 1244, gravement malade puis guéri contre toute attente, il fait vœu de participer à la 7ème croisade (1248 à 1254). Elle s’avère désastreuse, le roi est fait prisonnier puis libéré contre rançon. Affecté par cet échec, Louis IX décide de participer à une nouvelle croisade (la 8ème, en 1270). Il y meurt cette même année lors du siège de Tunis.
- Le Saint Empire Romain Germanique et l’Eglise de Rome
Je vous rappelle (mais est-ce bien nécessaire ?) que le Saint Empire est né de la Francie orientale, faisant elle-même suite au partage de l’Empire de Charlemagne lors du traité de Verdun.
Le Saint Empire présente plusieurs particularités qui le distinguent des Etats-Nations :
– Il est divisé en un grand nombre de territoires (de la Baltique au nord de l’Italie), chacun dirigé par un prince, quasi souverain.
– La fonction impériale n’est pas héréditaire, l’empereur est élu par sept «grands électeurs», presque tous germaniques.
– Les princes reconnaissent l’empereur comme le dirigeant de l’Empire mais ils appliquent les lois promulguées par la «Diète d’Empire», à laquelle ils participent.
– La « Querelle des investitures »
Le Saint Empire se veut héritier de l’Empire de Charlemagne, et prétend être l’organisme politique unique de la Chrétienté. Ce projet le met en concurrence directe avec la papauté et va conduire, au XIème siècle, à cette querelle des investitures. Il s’agit de savoir qui, de l’Empereur ou du pape, a le pouvoir de nommer les évêques et de lever l’impôt sur l’Eglise. Problème crucial pour l’Empire qui manque de revenus et qui s’appuie sur les évêques pour relayer l’autorité impériale, souvent mise à mal par les princes.
Cette politique se heurte à la «[réforme grégorienne|Elle prévoit l’indépendance du clergé, l’instruction des prêtres, leur célibat, leur contrôle par un moine tous les mois…]», définie par le pape Grégoire VII, qui affirme la primauté du pouvoir spirituel sur le temporel. Après de multiples rebondissements, ponctués d’excommunications, le concordat de Worms (1122) marque le succès de la papauté et l’affaiblissement de l’autorité impériale.
– Frédéric II
Les Etats pontificaux sont indépendants mais enclavés entre l’Italie du Nord, intégrée au Saint Empire, et l’Italie du sud, où règne Frédéric II. En 1220, celui-ci se fait élire empereur du Saint Empire qui dès lors encercle Rome ; une situation inacceptable pour la papauté.
Prétextant du refus de Frédéric de partir en croisade, le pape (Grégoire IX) l’excommunie, son successeur (Innocent IV) proclame sa déposition en 1244. Frédéric II meurt en 1250 et sa mort met un terme à l’expansionnisme de l’Empire en Italie.
– Le grand interrègne
Ainsi renforcée, la papauté s’immisce directement dans la succession de Frédéric II, créant ainsi un long interrègne dans l’Empire : elle refuse plusieurs fois le choix des grands électeurs et accepte seulement en 1273 l’élection de Rodolphe de Habsbourg à la fonction impériale.
Cet interrègne va avoir deux conséquences fondamentales pour l’Europe :
– Une plus grande indépendance des princes et le morcellement de l’Empire, qui va caractériser l’Allemagne jusqu’au XIXème siècle.
– L’arrivée au pouvoir de la famille Habsbourg, qui devient l’une des plus puissantes en Europe.
- L’Espagne de la Reconquista
La Reconquista désigne les luttes des chrétiens espagnols contre les musulmans pour reconquérir les territoire de la péninsule.
Au Xème siècle, l’Espagne chrétienne, divisée, n’est pas en situation de faire face aux Maures. Le sort s’inverse au XIème siècle lorsque le califat de Cordoue se morcelle en petites principautés et que le royaume de Castille se renforce en annexant le León (en 1037).
– Alphonse VI, roi de de Castille, s’empare de Tolède en 1085 mais les princes musulmans font appel aux Berbères d’Afrique du nord et Alphonse VI subit deux lourdes défaites, en 1086 et 1108.
– En 1118, Le roi de d’Aragon s’empare de Saragosse, qu’il érige immédiatement en capitale.
– Le pape Innocent III parvient à unifier les forces chrétiennes, qui remportent la victoire décisive de Las Navas de Tolosa, en 1212. Les années suivantes sont marquées par la prise de Cordoue, de Valence et de Séville.
À la fin du XIIIème siècle, les musulmans n’occupent plus que le royaume de Grenade.
Pour autant, les populations musulmanes et juives ne sont pas chassées des territoire et cohabitent avec les chrétiens. Cette coexistence favorise les échanges culturels entre les trois religions, les grandes œuvres sont traduites et deviennent plus accessibles, notamment les ouvrages d’Aristote et d’Averroès.
- L’Empire byzantin
Dans le précédent article, nous avons vu Byzance au fait de sa gloire, sous le règne de Basile II. Pendant le Moyen Age Central, l’Empire connait deux événements qui vont remettre en cause sa suprématie et annoncent son déclin.
– Le Grand Schisme d’Orient
La papauté reproche au patriarche de Constantinople ses prétentions à l’universalité chrétienne. Quant à Byzance, elle reste étrangère à la réforme grégorienne. Dès lors, les conflits se multiplient : divergence théologique sur les concepts de Fils et de Saint Esprit, querelles sur les rites, sur la nature du pain de l’eucharistie… auxquelles s’ajoutent des intérêts politiques divergents face à l’occupation normande en Italie.
En 1053 le pape Léon IX excommunie le patriarche Kéroularios, qui excommunie à sont tour l’envoyé du pape. Le schisme est dès lors inéluctable et marque la séparation officielle entre les chrétiens catholiques, dans l’ouest de l’Europe, et les chrétiens orthodoxes dans l’est.
– Le détournement de la 4ème croisade
Les Byzantins sont a priori opposés aux croisades, affirmant qu’on ne peut tuer en portant la croix sur soi ! Par ailleurs, pour Rome, l’objectif des croisades n’est plus d’aider Byzance face aux musulmans (comme lors de la 1ère croisade) mais de soutenir les nouveaux Etats latins de Palestine.
Il est prévu que la 4ème croisade parte de Venise, mais les croisés se trouvent dans l’incapacité de rembourser les dépenses prises en charge par la ville. Aussi proposent-ils au pape, Innocent III, de détourner la croisade sur Constantinople, dont la richesse est connue. En 1204, forts de leur droit de vainqueur, ils pillent la ville pendant trois jours…
## Les Croisades
On peut s’interroger sur les motivations du pape Urbain II appelant à la croisade (1095) :
– S’agit-il de garantir l’accès des pèlerins aux Lieux Saints ? Mais les persécutions, réelles au début du siècle, se sont depuis apaisées.
– Veut-il répondre à l’appel de Constantinople, menacée par la victoire des Turcs à Mantzikert ? Mais les Byzantins ne veulent pas la croisade, ils attendent une aide militaire contre les Turcs.
– S’agit-il d’une reconquête après les invasions arabes ? Mais elles datent de quatre siècles, la progression arabe en Occident a été stoppée en 732 et la tolérance règne en Andalousie.
– Veut-il canaliser la violence de chevaliers sans terres, avides de batailles, qui rêvent d’en découdre et évoquent l’or de l’Orient ? C’est jouer avec le feu.
Urbain II en a sans doute conscience, il essaie de tempérer l’enthousiasme que son appel a suscité et qu’il juge déraisonnable.
C’est trop tard, de nombreux prédicateurs populaires relaient l’appel à la croisade. Un groupe de 12.000 pèlerins sans ressources, conduit par Pierre l’Ermite, part de Rhénanie. Ils s’acharnent sur les communautés juives rencontrées et plus de 10.000 juifs sont massacrés. Arrivés devant Constantinople, l’empereur s’empresse de fournir des bateaux pour qu’ils traversent le Bosphore. La «croisade des pauvres gens» est massacrée par les Turcs.
La croisade des barons est, quant à elle, bien préparée. Quatre armées partent à la date prévue et se retrouvent en Asie Mineure. Antioche est prise en 1098, où les croisés se livrent aux massacres et aux exactions. Jérusalem est prise en 1099, la ville est livrée au pillage et à la destruction, une horreur stigmatisée par les chroniqueurs francs eux mêmes.
La croisade aboutit à la fondation des États latins d’Orient, organisés selon le système féodal. L’islam est toléré moyennant un tribut versé aux seigneurs chrétiens, les paysans musulmans conservent leurs terres mais les juifs, rendus responsables de la mort du Christ, sont fréquemment victimes de massacres, à tel point qu’ils préfèrent se soumettre à la domination musulmane.
La deuxième croisade, lancée à l’initiative du roi de France Louis VII pour expier ses fautes, est un échec : sur 25.000 chevaliers, 5.000 parviennent à Jérusalem, pour être finalement mis en déroute.
Les objectifs des croisades suivantes deviennent encore plus incertains : il n’est plus question d’aider Byzance mais de secourir les Etats latins menacés par les musulmans (ou, plus simplement, de se tailler un fief pour des chevaliers en mal de pouvoir).
La quatrième Croisade (comme vu ci-dessus) est détournée pour prendre Constantinople et ses richesses. Il s’ensuit une haine profonde et durable de Byzance à l’égard de Rome, d’autant que les Byzantins, s’ils reconquièrent Constantinople en 1261, vont trouver leur ville dévastée par les croisés.
Cinq autres croisades sont encore lancées au XIIIème siècle, la 8ème voit la mort de Louis IX à Tunis, la 9ème échoue à sauver Acre, en 1291, mettant un terme à cette terrible et absurde période de la chrétienté.
## Religieux et intellectuels
- Les faits religieux
– L’hérésie
La doctrine cathare considère que le monde matériel est tentation et corruption, le corps humain est la prison matérielle de l’âme d’un ange, qui erre de corps en corps selon le principe de réincarnation. Seul le baptême spirituel (Consolamentum) peut briser la chaîne et permettre à l’ange de regagner le ciel.
En 1129, le pape Calixte III dénonce l’hérésie qui se répand, notamment dans le comté de Toulouse où le comte y est favorable. Le pape l’excommunie et promeut la croisade (dite des Albigeois). Les petits seigneurs du nord, menés par Simon de Montfort et trop heureux d’en découdre, déferlent sur le comté et accumulent pillages et atrocités. A Montségur, 200 cathares qui refusent d’abjurer leur foi sont brûles vifs, hommes et femmes.
– L’Inquisition
Pour extirper l’hérésie, le pape Grégoire VII organise une mission spécifique, l’Inquisition, confiée en 1215 aux Dominicains.
L’Inquisition fonctionne comme un tribunal, basé sur la recherche de la faute. Toute personne soupçonnée est poursuivie, la délation est stimulée par la confiscation des biens des hérétiques, au profit du seigneur. En 1260, le pape va même admettre le recours à la torture…
– Les ordres mendiants
Suite au développement économique, les inégalités de richesse apparaissent insupportables à la chrétienté. Elles contribuent d’ailleurs au développement de l’hérésie, qui prône la pauvreté et le dépouillement. Deux personnalités exceptionnelles (et bien différentes) vont alors dénoncer l’opulence de l’Eglise des riches et des seigneurs :
– Dominique, jeune chanoine castillan cultivé qui se voue à la prédication. Le pape fonde à sa demande l’ordre de Dominicains, dont les règles sont la chasteté, l’obéissance, la pauvreté et l’ignorance (!). L’autorité de Dominique est telle que, pratiquement, il gouverne la chrétienté occidentale, se mêlant des affaires des rois et des papes. Et pourtant, à sa mort, rien ne subsiste de l’oeuvre de cet homme, qui voulait arrêter le temps…
– François, né à Assise, un chevalier qui décide de se consacrer à la pauvreté. Le pape hésite face à ce laïc incontrôlable et il accepte seulement de fonder un «ordre des Frères mineurs», les Franciscains.
Dès son époque, François apparaît comme un révolutionnaire, par la fonction qu’il assigne aux laïcs et par sa reconnaissance de la valeur humaine des plus démunis.
- L’architecture religieuse
Au XIème siècle les constructions d’églises se multiplient et, dixit [Raoul Glaber|Rappelez-vous, ce moine qui voit le diable au pied de son lit !], le monde se couvre d’un «blanc manteau d’églises». C’est la période romane, avec les voûtes semi-circulaires en pierre qui remplacent les charpentes en bois, des murs épais et lourds pour contre-balancer la poussée des voûtes, des ouvertures réduites. C’est une architecture de l’ombre et du recueillement.
A la fin du XIIème siècle l’architecture gothique la remplace, avec l’arc brisé et les voûtes sur croisée d’ogives, qui reportent la poussée sur des colonnes et des arc-boutants, permettant d’alléger les murs et d’ouvrir de gigantesques verrières et rosaces. C’est une architecture de lumière et d’élévation vers le ciel.
- Les Universités
Pendant le Haut Moyen Age, les écoles dépendent des monastères et se consacrent à l’enseignement de la Bible. Au XIème siècle et avec le renouvellement urbain, des Universités sont ouvertes et permettent d’étudier des textes profanes. Des Collèges permettent aux étudiants pauvres d’accéder au savoir, comme le Collège de la Sorbonne ou celui de Navarre.
L’Université de Montpellier est célèbre pour ses cours de médecine, celles d’Espagne pour l’enseignement juridique, celle de Paris pour le droit romain. En Allemagne sont fondées les Universités de Cologne et de Heidelberg. En Angleterre celles d’Oxford, puis de Cambridge…
- Les intellectuels
À partir du XIIe siècle on aborde une approche rationnelle qui s’efforce de comprendre le monde. Les «intellectuels» de cette période sont nombreux et influents : Hugues de Saint-Victor, Pierre Lombard, Jean de Salisbury… En voici deux, peut-être les plus célèbres :
– Averroès, un philosophe, théologien de l’islam, juriste, mathématicien et médecin musulman. Il est né en 1126 à Cordoue, en Andalousie. On le décrit parfois comme l’un des pères fondateurs de la pensée laïque en Europe de l’Ouest.
– Abélard, un philosophe, dialecticien et théologien chrétien, né en 1079 près de Nantes. Il fonde en 1110 à Sainte Geneviève le premier collège, préfigurant l’Université. Parmi ses nombreux ouvrages, son traité d’éthique «Connais toi toi même» inaugure le droit moderne, en fondant la notion de culpabilité non plus sur l’acte commis mais sur l’intention.
- Les troubadours
Les débuts de la féodalité sont d’une grande brutalité, avec les «guerres privées» et des chevaliers qui se comportent plus en soudards qu’en protecteurs des populations.
A partir du XIIème siècle, l’amour courtois se diffuse dans les cours royales et contribue à l’apaisement des moeurs. Les troubadours, les trouvères, les minnesanger (en Allemagne) racontent en langues vulgaires l’histoire des preux : la chanson de Roland, l’Histoire du roi Arthur, Tristan et Iseult…
# Le Moyen Age tardif
(XIV et XVème siècles)
Après trois siècles d’innovations et de prospérité, l’Europe va connaître deux siècles de malheurs.
## La famine et la peste
Les premières années du XIVème siècle sont marquées par le «petit âge glaciaire», avec une baisse des rendements agricoles conduisant à des famines répétées. Celle de 1315-1317 fait plusieurs millions de morts en Europe.
Ces famines sont suivies en 1347 par une épidémie de peste (la Peste noire). Rapportée d’Asie centrale par les navires italiens, la maladie se répand rapidement dans toute l’Europe et tue près du tiers de la population en quelques années : de 88 millions en 1300, la population passe à 65 millions en 1400 et moins encore au milieu du XVème siècle.
## La guerre de cent ans
A la mort de Charles IV (1328), les capétiens n’ont plus de descendant direct. Le prince Edouard d’Angleterre, petit-fils de Philippe le Bel, réclame alors son héritage : le royaume de France ! Vont s’en suivre cent années de guerres, entrecoupées de quelques trêves.
- Les victoires anglaises
Le début du conflit est à l’avantage des Anglais qui remportent la bataille de Crécy (1346), puis le siège de [Calais|Où six bourgeois, la corde au cou, viennent apporter les clés de la ville pour sauver les habitants], enfin la bataille de Poitiers (1356).
Un traité est signé à Calais et, pendant quarante ans, aucune bataille importante n’a lieu. En 1380, à la mort de Charles V de France, la guerre semble terminée.
Mais en 1392, son fils, Charles VI, sombre dans la folie, tandis que la guerre civile fait rage entre Armagnacs et Bourguignons. Henri V d’Angleterre met à profit ces troubles pour revendiquer à nouveau l’héritage des Plantagenêts, il débarque en Normandie et remporte la bataille d’Azincourt (1415), où la chevalerie française est mise en déroute par les archers gallois.
- Jeanne d’Arc
En 1422, Henri V d’Angleterre et Charles VI de France meurent la même année. Charles VII, le «soi-disant dauphin», ne possède plus que quelques villes sur la Loire (Beaugency, Bourges…) et quelques îlots de résistance en Bretagne et en Lorraine.
C’est alors qu’une jeune lorraine de seize ans, Jeanne, dit entendre des voix qui lui ordonnent de «bouter les Anglais hors de France»…
Une année d’épopée : le 8 mai 1429, Orléans est reconquise, le 17 juillet, Charles VII est sacré à Reims ; suivie d’une année de prison : en 1430, Jeanne est faite prisonnière par les Bourguignons en tentant de défendre Compiègne. Remise aux Anglais, elle est condamnée puis brûlée sur la place du vieux marché de Rouen, le 30 mai 1431. Ses cendres sont jetées à la Seine.
Charles VII, fort de sa légitimité retrouvée, s’emploie alors à réorganiser le royaume et restaurer ses finances. Bien conseillé, (notamment par sa maîtresse, [Agnès Sorel|La « Dame de Beauté ». On a dit de Charles VII qu’il avait été bien servi par les femmes : sa mère, Yolande d’Aragon, Jeanne, Agnès.]), il profite des troubles sociaux qui ravagent l’Angleterre, épuisée par la guerre. Il reprend Rouen, Honfleur, écrase l’armée anglaise en 1450. La Normandie redevient française, puis la Gascogne, Bordeaux… La guerre de cent ans, commencée en 1337, se termine en 1453.
ne.
## Vers des Etats modernes
Poussés par les crises et les guerres, rois et princes mettent en place les instruments d’un Etat moderne : une fiscalité permanente, une armée, une administration efficace. C’est particulièrement le cas de Louis XI en France, de Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille en Espagne, des Habsbourg dans le Saint Empire, des Médicis à Florence et des Sforza à Milan.
- L’Angleterre
En Angleterre, la « Guerre des Deux-Roses », déclenchée juste après la guerre de cent ans, marque l’antagonisme entre la maison royale de Lancastre et celle d’York. Elle donne naissance à une nouvelle dynastie forte et centralisée, celle des Tudor. Elle marque aussi la fin de la politique d’expansion sur le continent, l’Angleterre se concentrant dès lors sur sa vocation industrielle et maritime.
- La France de Louis XI
Louis XI succède à Charles VII en 1461.
Il doit affronter Charles le Téméraire, devenu duc de Bourgogne en 1467 et qui veut un titre royal : il entend reconstituer la «[Francie médiane|Le territoire médian entre la France et l’Allemagne, prévu par le traité de Verdun en 843], » en rapprochant la Bourgogne et les Pays Bas ; de plus il est allié aux York d’Angleterre et constitue donc une réelle menace pour la France.
Mais Louis est patient, il sait jouer de l’argent, de la ruse et des armes. iI dénoue l’alliance anglo-bourguignonne moyennant 425 000 écus, payés à l’Angleterre. Le conflit avec la Bourgogne va quand même durer dix ans, ponctué de batailles et de sièges, jusqu’à la mort du Téméraire en 1477.
Pour Louis XI, le succès est total. La chute des princes et la fin des guerres ramène la paix et la prospérité :
– Dans le domaine économique, il fait venir des Italiens pour créer une industrie de la soie, des Allemands pour relancer les mines, il fonde à Lyon de grandes foires qui concurrencent celles de Genève, il organise à Londres une présentation des produits français…
– En politique intérieure, il réorganise l’administration royale, confiée à des hommes sûrs, et fonde vraiment l’Etat. Pour être informé de tout, et avant les autres, il crée la poste. Et il est impitoyable avec ses opposants, vous connaissez Jean de la Balue, accusé de trahison et qui passe onze ans enchaîné dans les «fillettes du roi» !
– Il agrandit la France, en annexant le duché de Bretagne en 1475 par le traité de Senlis, la Bourgogne en 1482 par le traité d’Arras, le Maine, l’Anjou et la Provence suite à la mort sans héritier de Charles V d’Anjou, le «Bon roi René», qui aimait à s’entourer de poètes, Villon, Charles d’Orléans…
De vent, de froidure et de pluie…
A propos d’Anjou, savez-vous que Louis XI, très pieux, a ordonné la construction d’un sanctuaire à Béhuard, après avoir échappé à la noyade sur la Loire ? Et que Béhuard est tout près de [Bouchemaine|D’où on rejoint Béhuard par une jolie balade à vélo, en longeant la Loire…] ?
- Le Saint Empire
Les empereurs ont abandonné leurs prétentions italiennes et universelles et se concentrent sur les territoires germaniques. Leur désignation par un système électif empêche toutefois de constituer une dynastie pérenne et l’Empire reste un regroupement lâche de plusieurs centaines d’entités.
Le repli germanique favorise l’émancipation des royaumes hongrois, slaves et scandinaves, mais aussi des principautés italiennes.
- L’Italie du [Trecento|Vous savez que le Trecento correspond au 14ème siècle italien, et donc au mouvement de la pré-Renaissance] (XIVème siècle)
– Les cités-Etats
Dans le désordre créé par le conflit entre la papauté et le Saint Empire, des puissances régionales ont émergé et s’opposent :
– Le royaume de Naples contre la Sicile, gouvernée par la dynastie aragonaise, héritière du Saint Empire.
– Florence la guelfe (favorable au pape) et Milan le gibeline (favorable à l’Empire).
– Gênes et Venise, qui rivalisent pour développer leurs comptoirs et leur empire colonial en Méditerranée orientale.
Paradoxalement, ce climat de luttes politiques va favoriser l’apparition de la Renaissance italienne : chaque cité veut supplanter sa voisine par les fastes de sa production littéraire, artistique ou architecturale.
– Le Grand Schisme d’Occident
Autre conséquence, en 1309, le pape (Clément V, un pape français) installe la papauté en Avignon. En 1378, un pape italien (Urbain VI), revient s’installer à Rome mais est rapidement déposé au profit de Clément VII, qui retourne en Avignon ! Les puissances européennes soutiennent alors l’un ou l’autre pape en fonction de leurs intérêts :
En 1413, un concile est convoqué à Constance par Jean XXIII ([non, il n’y a pas d’erreur de frappe !|Ce Jean XXIII a été officiellement déposé par le concile de Constance en 1415, sur des chefs d’accusation que je n’ose rapporter ici !] ). Martin V est élu en 1417, la papauté rejoignant définitivement Rome. La crise a profondément marqué la chrétienté occidentale et durablement remis en cause l’autorité pontificale.
- L’Espagne
– la réunification des royaumes
En 1464, le mariage de Ferdinand II d’Aragon et Isabelle de Castille rapproche les deux royaumes et permet l’unification politique de toute l’Espagne : Aragon, Castille et Léon ne forment plus qu’un seul Etat et constituent la nouvelle grande puissance de l’Europe.
– La chute de Grenade
A la fin du XVème siècle, Grenade reste le dernier reliquat des califats maures, progressivement repris lors de la «Reconquista».
En 1492, les forces espagnoles entreprennent le siège de Grenade, dirigé par Boabdil. Ne voyant pas de renforts arriver, Boabdil signe un traité livrant la ville sous la condition que les musulmans pourront garder leur juridiction et pratiquer librement leur culte. Le traité n’est pas respecté par les vainqueurs, musulmans et juifs doivent se convertir ou s’expatrier en Afrique du Nord, où les juifs vont créer la communauté Séfarade.
Je laisse à mes lectrices féministes le soin d’apprécier les reproches faits à son fils par [Aïcha al-Horra|Etait-elle féministe, ou un tantinet macho ?], la mère de Boabdil : «Tu pleures comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme» !
- La fin de l’Empire byzantin
Vous savez que l’Empire Byzantin reprend Constantinople aux croisés, en 1261. Mais la ville est dévastée, sa reconstruction absorbe une grande partie des moyens financiers et des bandes turques conduisent des raids dévastateurs sur tout le territoire impérial. Au XIVème siècle, il reste à Byzance une portion des Balkans et quelques bandes côtières au sud de la Mer Noire et autour de la Mer Égée.
La chute de Constantinople paraît dès lors imminente, elle est toutefois retardée par l’attaque des Mongols de [Tamerlan|Né en 1336 en Ouzbékistan, conquérant d’une grande partie de l’Asie centrale et occidentale] contre les Turcs, qui détourne ceux-ci de Constantinople. Mais après vingt ans de répit, l’arrivée au pouvoir de [Mehmed II|Né en 1432à Andrinople, 7ème sultan de l’Empire ottoman] marque la reprise des hostilités. Constantinople est prise par les Ottomans en 1453, marquant ainsi la fin définitive du dernier vestige de l’Empire Romain d’Orient.
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Et notre Europe, dans tout ça ?
Dans les trois précédents articles, nous avons vu notre Europe, même partielle ou temporaire :
– L’Europe de la méditerranée et de la culture, sous les Grecs.
– L’Europe puissance, sous l’Empire romain.
– L’Europe de tout le continent, sous Charlemagne.
Rien de tel dans cette période du Moyen Age : ce que nous voyons, c’est la mise en place des Etats modernes et le dé-tricotage de l’identité européenne. Mais si l’Europe politique disparaît de nos écrans radars, c’est aussi le moment où se forgent ses valeurs, positives ET négatives, qui sont encore les nôtres. C’est ce que je vais tenter de montrer.
Premier élément remarquable, la formidable capacité d’intégration des populations. Passé le stress des grandes invasions, rien ne semble plus distinguer le paysan normand du paysan gaulois, le vigneron burgonde du vigneron romain, l’artisan lombard de l’artisan étrusque…
Bien sûr, tous ces territoires ont été le siège de confrontations, notamment durant le Moyen-Age Tardif. Mais elles ont été d’origines sociales, politiques, religieuses, et ne semblent pas avoir eu d’origine ethnique.
Qu’est-ce qui a fait la capacité de ce territoire à intégrer ses populations diverses, au point qu’on ne puisse plus les distinguer ? Pour ma part, je vois essentiellement deux raisons :
– La prospérité. Les trois premiers siècles ont été marqués par la prospérité, comme en témoignent le renouvellement agricole, le développement des bourgs et des villes, la reprise du commerce… A l’inverse, c’est en période de crise que s’est développé l’ostracisme (notamment à l’égard des juifs).
– Une administration forte, efficace et juste. Il est frappant de voir comment les particularismes régionaux ont longtemps dominé la vie sociale (en France, dans le Saint Empire…) et comment l’administration et la justice ont été les instruments de l’intégration territoriale (Philippe Auguste, Saint Louis…).
La constance et la politique des petits pas sont également apparus comme des valeurs nécessaires pour atteindre de grands objectifs : les bénéficiaires de la période n’ont pas été les va-t-en guerre des croisades, mais les gagne-petits arrondissant leur pré-carré avec obstination.
Les premiers capétiens (Philippe Ier, Louis le Gros…) ont à cet égard été les champions du réalisme, également les princes espagnols qui, patiemment, ont construit l’unité politique du pays et progressivement reconquis les territoires annexés par les Maures.
Laissons le temps au temps : le traité de Paris préfigurant l’Europe a été signé il y a 65 ans. Il a fallu deux siècles et demi pour que Philippe Auguste estime que la légitimité capétienne était acquise !
Autre apport fondamental qui, lui aussi, mettra bien du temps à s’imposer : l’affirmation de l’Etat de Droit.
Lorsque, en 1215, quelques barons excédés par les exigences militaires et financières de Jean sans terre le contraignent à signer la « Magna Carta », ils ne savent pas qu’ils viennent de fonder les bases de la légalité constitutionnelle.
Le pape, Innocent III, peut bien condamner cet «accord scandaleux et dégradant, arraché au roi par violence et menace», l’Angleterre passe outre et devient la première nation engagée dans la lutte pour les libertés individuelles.
L’Europe absolutiste va mettre des siècles avant d’accepter cette valeur universelle, qui va pourtant faire l’originalité et la force de la civilisation occidentale.
Même si je semble cultiver le paradoxe, je pense que cette période a perçu (furtivement il est vrai) une autre valeur universelle : la tolérance religieuse et la coopération des cultures.
Pendant trois siècles, l’Andalousie a montré, non seulement que les chrétiens, les juifs et les musulmans pouvaient vivre en bonne intelligence, mais que cette cohabitation donnait naissance à une civilisation originale et prospère, à de nouveaux savoirs regroupant ceux de l’Inde, du Moyen Orient et de l’Occident, à une culture et un art de vivre dont nous voyons encore les traces à Grenade ou à Cordoue.
Hélas, cette parenthèse heureuse a été vite refermée : les Espagnols n’ont pas respecté les clauses de tolérance demandées par Boabdil ; l’Europe a gâché l’occasion de créer une entente des civilisations autour de la Méditerranée.
Enfin, c’est au Moyen Age qu’ont été mis en place les instruments d’un savoir libre, affranchi du prosélytisme des clercs, pouvant être transmis à tous, riches ou pauvres. Les Collèges et Universités se sont répandus dans toute l’Europe, les plus prestigieux nous parlent encore (La Sorbonne, Oxford et Cambridge, Heidelberg…), leurs intellectuels ont marqué l’importance de la raison et de la tolérance et, d’une certaine façon, ont préfiguré la Renaissance et les Lumières.
Malheureusement, cette période du Moyen-Age n’a pas apporté que des valeurs positives. Elle a aussi engendré des horreurs qui ont traversé les siècles.
La féodalité a été une faute sociale et économique. L’Europe ne s’est pas seulement couverte d’un blanc manteau d’églises, elle a aussi multiplié les châteaux forts et institué une société d’ordres. En donnant à certains la force des armes sans avoir les moyens de la contrôler, la féodalité a permis les guerres privées et la spoliation des plus faibles, elle a remplacé l’esclavage antique par le servage. Il a fallu des siècles (ou des révolutions !) pour que le pouvoir central parvienne à contrôler les pouvoirs locaux des [grands feudataires|Titulaires d’un fief relevant directement du souverain].
Heureusement, à ce moment, l’Eglise a porté les valeurs de compassion et d’humanité dans ce monde de violence, en instituant la trêve de Dieu et le droit d’asile, en les imposant par sa force morale à une chevalerie dévoyée.
Mais comment l’Eglise (ou la papauté ?) a-t-elle pu ensuite oublier le message du Christ et sombrer à ce point dans l’intolérance ? En se voulant universelle, en traquant les hérésies, elle a ouvert la boîte de Pandore et déchaîné les violences : Simon de Montfort mettant à sac le comté de Toulouse, [Arnaud Amaury|Archevêque de Narbonne chargé, en tant que légat pontifical, de réprimer l’hérésie cathare durant la croisade des Albigeois] réprimant par le feu l’hérésie cathare («Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens»), l’Inquisition encourageant la délation et extorquant les aveux par la torture…
Combien de siècles faudra-t-il, combien d’atrocités et de guerres de religions, pour que les Etats européens reconnaissent la laïcité (et encore !), base de la tolérance religieuse et de la liberté de penser.
Les croisades, avec leurs motivations multiples et ambiguës, apparaissent comme une faute politique ayant conduit à l’occupation du Moyen-Orient et à des massacres d’une violence inouïe, dénoncés même par les chroniqueurs du temps.
La culture arabo-musulmane était alors à son apogée. Une confrontation pacifique des idées et un échange des savoirs auraient pu conduire l’une et l’autre civilisation à accepter leurs différences, à éviter les haines et les frustrations. L’erreur politique des croisades n’est pas étrangère aux crises actuelles de l’Europe et du Moyen-Orient.
Enfin, on ne peut ignorer le rôle du Moyen-Age dans le développement de l’antisémitisme.
Les Grecs, puis les Romains, ont été dans l’ensemble tolérants en matière religieuse, n’exigeant pas des populations conquises qu’elles abandonnent leurs cultes. Au début du Moyen Âge, l’Église a certes qualifié les juifs de «peuple déicide» mais n’a manifesté aucun désir de les éliminer.
C’est au moment des croisades, en Rhénanie et en Europe centrale, que l’antisémitisme est vraiment apparu et a gagné l’Europe entière : accusation d’empoisonner les puits pendant la peste noire, interdiction d’exercer des métiers autres que l’artisanat et le commerce, bannissements des royaumes de France, d’Angleterre, d’Espagne…
A la fin du Moyen Age, les haines et les préjugés sont en place pour que se développe l’antisémitisme moderne.
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Heurs et Malheurs du temps. «Fortune, Infortune, Fort Une» (devise de la princesse de Bourgogne). Que de contrastes et de contradictions en ces cinq siècles que nous venons de parcourir. C’est l’occasion de citer François Villon, pour terminer cet article sur une note plus légère. François répond à un concours lancé par Charles d’Orléans sur le thème des contradictions.
Chaud comme feu, et tremble dent à dent
En mon pays suis en terre lointaine
Près d’un brasier frissonne tout ardent
…
Rien ne m’est sûr que la chose incertaine
Moyen Age central et tardif
Merci pour ce beau voyage dans le temps,
et les éléments concernant les divers pays européens ou proche-orientaux.
Petite faute de frappe au paragraphe Louis XI, tu as écrit : Louis XII succède à Charles VI tu voulais dire : Louis XI succède à Charles VI (si j’ai bien suivi…)
A propos de l’Habeas Corpus, il est intéressant de noter la traduction de l’expression latine. Je l’ai relevé dans Wikipédia :
On traduit souvent le latin habeas corpus par « sois maître de ton corps », qu’on interprète comme l’énoncé d’un droit fondamental à disposer de son corps, compris comme la protection contre les arrestations arbitraires. Cette traduction est erronée. Car en réalité, c’est par cette formule que commence l’ordre : habeas corpus ad subjiciendum qui signifie littéralement : « que tu aies le corps pour le soumettre », qui s’adresse au geôlier et non au prisonnier afin que celui-ci produise le détenu devant la Cour (« Aie le corps [la personne du prisonnier], [avec toi, en te présentant devant la Cour] afin que son cas soit examiné »).
Bonne suite. La renaissance ?
Dominique
Moyen Age central et tardif
Salut Dominique-Elle,
Merci de ta lecture attentive (j’ai rectifié XII en XI !) et des précisions sur l’habeas corpus, dont la traduction et la compréhension ne sont effectivement pas évidentes.
JF
Moyen Age central et tardif
Eh non, Jean François, c’était Dominique lui !