Comme j’en avais marre d’entendre parler de ce projet sans en avoir une idée un peu complète, je me suis attelé à la recherche sur internet pour faire une synthèse des contenus. Vous trouverez en fin d’article la liste des sources que j’ai utilisées. Volontairement je n’ai pas retenu les sources les plus politiques ou polémiques.
Ce travail étant fait, je me suis dit qu’après tout il pourrait vous intéresser. J’ai organisé cette synthèse en 4 chapitres : licenciements, organisation du temps de travail, accords d’entreprises, protection des salariés. Après quoi je me suis fendu d’une petite conclusion.
Cet article fait état du projet au 14 mars 2016, donc avant d’éventuelles modifications proposées ensuite par le gouvernement.
Résumé de l’article
La logique de la loi est d’assouplir le CDI pour qu’il soit plus souvent proposé.
– Conditions du licenciement économique : elles sont précisées et complétées, le rendant ainsi plus facile.
– Indemnisations : elles font l’objet d’un barème en fonction de l’ancienneté dans l’entreprise, ne laissant pas de marge d’appréciation au juge prud’homal.
– Temps de travail et heures supplémentaires : les 35 heures sont maintenues comme seuil du déclenchement des heures sup. Le montant de celles-ci est fixé par accord d’entreprise, et non au niveau des branches. Les modalités de dérogation aux 35 h sont élargies.
– Accords d’entreprises : ils priment sur la loi (c’est la principale innovation du projet de loi). Les syndicats minoritaires (cad ayant obtenu au moins 30% des voix) peuvent demander qu’un référendum soit fait auprès des salariés pour décider d’un accord (même refusé par les syndicats majoritaires).
– Sécurité pour les salariés : les droits existants (pénibilité, compte personnel de formation) sont confirmés pour 2017 mais rien de nouveau n’est proposé à ce sujet.
#Licenciements
- 1.1 Les motifs de licenciement
(Les modifications apportées par le projet de loi concernent le licenciement économique).
Les clauses actuelles sont assez restrictives : cessation d’activité ou mutation technologique. L’entreprise peut également invoquer une réorganisation nécessaire à sa sauvegarde, mais il lui faut alors prouver qu’elle est en péril.
Le projet de loi précise mais surtout étend ces clauses, laissant moins de marge à l’appréciation du juge prudhommal : le licenciement économique devient possible en cas de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, de dégradation de la trésorerie, de mutations technologiques, d’une réorganisation nécessaire au maintien de la compétitivité.
Pour les entreprises multinationales, les difficultés seront appréciées au niveau de l’entreprise en France et non du groupe. Actuellement, les difficultés sont appréciées par le juge au niveau du secteur économique des entreprises de même nature en France.
Les syndicats réformistes demandent que la situation difficile d’une entreprise, ouvrant droit aux licenciements économiques, soit jugée au moins au niveau européen.
- 1.2 Indemnisations
Le projet de loi crée un barème avec plafonnement des indemnités, selon l’ancienneté du salarié dans l’entreprise. L’indemnité dépend actuellement de l’appréciation du juge.
Avec le projet de loi, les salariés y perdraient dans certains cas (notamment les salariés les plus anciens dans l’entreprise) ou y gagneraient dans d’autres, par rapport à l’indemnisation actuellement décidée par le juge.
A noter que, en cas de faute particulièrement grave du patron (harcèlement moral ou sexuel, licenciement discriminatoire…), le juge pourra octroyer des sommes supérieures à celles prévues au barème.
Pratiquement tous les syndicats demandent la suppression du barème. La CFDT propose que ce barème soit indicatif mais non obligatoire. Le gouvernement envisage d’instituer une nouvelle tranche pour les salariés les plus anciens dans l’entreprise.
#Organisation du temps de travail
Les 35 heures sont maintenues en tant que seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Par contre les modalités de dépassement de ce seuil sont considérablement changées.
- 2.1 Temps maximum
Un salarié pourra travailler jusqu’à 46 h hebdomadaires, en moyenne, sur 4 mois. Une semaine pourra aller jusqu’à 48h de travail (maximum autorisé par la règlementation européenne). Le plafond actuel est de 44 h, en moyenne sur 3 mois.
Dans certaines circonstances exceptionnelles, le temps de travail hebdomadaire pourra être porté à 60 h, sous réserve d’une autorisation de l’Inspection du Travail. Il n’y a pas de changement à ce niveau par rapport à la situation actuelle.
Le temps de travail journalier maximum reste fixé à 10 h, mais un accord collectif pourra porter ce seuil à 12 h.
Les entreprises de moins de 50 salariés pourront, même en l’absence d’un accord collectif, proposer à leurs salariés de passer au forfait jour : un dispositif dérogatoire aux trente-cinq heures, fondé sur le nombre de jours effectués dans l’année et non pas sur le nombre d’heures (ce dispositif est actuellement limité aux entreprises de plus de 50 salariés).
- 2.2 Paiement des heures supplémentaires
Le prix des heures supplémentaires est actuellement fixé par branches professionnelles (par ex. +25% dans la métallurgie). C’est un des changements essentiels proposés par le projet : le prix pourra être fixé par accord d’entreprise, et non plus au niveau de la branche.
Le prix devra toutefois être supérieur à 10% (minimum fixé par la loi). Faute d’accord dans l’entreprise, le minimum sera de 25% (8 premières heures) puis 50%.
Par ailleurs, Les heures sup pourraient n’être payées que 2 ans plus tard (durée sur laquelle calculer la moyenne des heures sup réalisées).
Les syndicats refusent que l’organisation du temps de travail se négocie directement entre l’employé et l’employeur et veulent qu’elle soit faite au niveau des branches. Le gouvernement pourrait accepter que l’accord de branche s’impose mais seulement si aucun accord n’est trouvé en interne dans une entreprise.
#Accords d’entreprises
- 3.1 Accords dérogeant aux contrats de travail
Actuellement, les entreprises peuvent passer avec les syndicats des accords dits « défensifs », pour moduler temporairement le temps de travail et les salaires en cas de difficultés économiques (cet accord primant sur le contrat de travail).
Dans le projet, elles pourront passer également des accords « offensifs », par exemple pour gagner des parts de marché.
Si un salarié refuse cet accord, il pourra être licencié pour « motif personnel » (et non pour raison économique, comme c’est actuellement le cas avec les accords « défensifs »). Mais il gardera le droit aux indemnités liées à la rupture du contrat de travail et restera éligible à l’assurance chômage.
- 3.2 Référendums en entreprises
Pour être valable, l’accord devra être signé par les syndicats « majoritaires », c’est-à-dire ceux qui ont obtenu au moins 50% des suffrages exprimés lors des élections professionnelles (c’est actuellemnt 30%).
Toutefois, une option prévoit que les syndicats « minoritaires » (mais ayant obtenu plus de 30% des suffrages) pourront demander un référendum. L’accord sera acté si plus de 50% des salariés l’approuvent (les syndicats majoritaires ne pouvant s’y opposer).
C’est la stratégie qu’avait choisie la direction de l’usine Smart d’Hambach, en Moselle, pour revenir sur les 35 heures malgré l’opposition de la CGT et de la CFDT. Suite au vote (qui n’a aujourd’hui aucune valeur), la majorité des salariés avait accepté l’augmentation du temps de travail. A noter le problème posé par la disparité entre les cadres (majoritairement pour) et les ouvriers (majoritairement contre).
#Sécurités pour le salarié
- 4.1 Compte Personnel d’Activité (CPA)
(Droits sociaux acquis tout au long de la carrière du salarié, indépendamment du temps passé dans une entreprise)
Dans le projet de loi, le CPA est institué et préfigure une future sécurité sociale professionnelle. Il doit être mis en place à partir du 1er janvier 2017. Il ne comprendra toutefois (dans le projet actuel) que des droits déjà existants : le compte pénibilité pour la retraite et le compte personnel de formation.
- 4.2 Précarité et passage du CDD au CDI
La loi est censée assouplir le CDI (voir ci-dessus : modification des causes de licenciement économique et plafonnement des indemnités) et donc amener les chefs d’entreprise à proposer des CDI plutôt que des CDD.
Quelques précisions à ce sujet qui concerne la précarité de l’emploi (notamment pour les jeunes, mais surtout pour les personnels peu qualifiés) :
– Actuellement, le stock de contrats (l’ensemble des contrats existants en France) comporte essentiellement des CDI : 87% des salariés sont en CDI, 10% en CDD et 3% en intérim.
– Le flux (les nouveaux contrats signés chaque année) est majoritairement constitué de CDD : 80% des embauches se font actuellement en CDD et 20% en CDI.
Cette apparente contradiction s’explique par deux raisons :
– L’augmentation des CDD est relativement récente (une dizaine d’années) et n’a pas encore eu d’effet majeur sur le stock.
– Surtout, cette augmentation tient essentiellement aux CDD dits « d’usage » (c’est-à-dire de très courte durée : moins d’un mois, voire d’une semaine). Ces « contrats d’usage » sont théoriquement réservés à certains secteurs (audiovisuel, spectacles, enseignement, sport …) mais sont beaucoup plus fréquemment utilisés, malgré un arrêt de la Cour de Cassation.
Le projet de loi ne prévoit pas de nouvelles contraintes à la signature de CDD, sauf éventuellement une augmentation de leur taxation à charge de l’employeur.
#En guise de conclusion
(Toute personnelle et provisoire !)
- 5.1 Un risque d’enfumage politicien
Il est dommage que ce projet (qui marque enfin une vraie volonté de réforme structurelle) soit entaché de considérations politiciennes secondaires :
– Ouvrir une porte de sortie à M. Valls, lui permettant de quitter avec fracas le gouvernement (au titre d’une gauche archaïque et in-réformable) et le plaçant en rassembleur gauche-droite « modérées » pour de prochaines présidentielles.
– La gue-guerre entre M. Valls et E. Macron pour le leadership d’une pensée économique de gauche renouvelée, bien utile en ces temps de décomposition de la gauche et de multiplication des egos à droite.
- 5.2 Mais, plus sérieusement, la loi serait-elle efficace ?
Les économistes sont divisés :
Certains sont plutôt « pour » (Jean Tirol, Philippe Aghion, Elie Cohen…), avec les arguments suivants :
– Une avancée pour les plus fragiles, les moins qualifiés (80% des chômeurs n’ont que le bac), les « laissés pour compte », moins défendus par les syndicats.
– Une loi faite avant tout pour les PME, celles qui embauchent le plus mais ont une vraie crainte du CDI, à cause du coût et des incertitudes sur les conditions de licenciement.
– La réussite de l’Espagne qui, avec une réforme similaire, a créé près de 300.000 CDI dès l’année suivante.
D’autres sont plutôt « contre » (tout aussi célèbres : Thomas Picketty, Daniel Cohen, …) avec d’autres arguments :
– C’est la croissance qui fait l’emploi, et non les règles du marché du travail.
– L’Europe et la France n’ont pas la bonne politique économique, avec une réduction trop rapide des déficits publics et l’absence d’investissements qui en découle.
– Ce n’est pas une surprotection des emplois (comme on le dit de la situation actuelle) qui est facteur de précarisation et de chômage.
- 5.3 Et pour ma part ?
Je serais plutôt favorable à la flexi-sécurité, qui a fait ses preuves en Europe du Nord et peut-être même plus récemment en Italie et en Espagne.
Dans flexi-sécurité il y a flexibilité : le projet de loi y fait la part belle (trop aux yeux de beaucoup !), notamment en inversant la hiérarchie des accords : priorité aux accords d’entreprise, puis accords de branches et en dernier ressort la loi.
On peut estimer que c’est raisonnable, les acteurs directement concernés (patronat et syndicats) étant les mieux à même de connaitre la situation réelle et les contraintes de l’entreprise.
Encore faut-il que le dialogue syndical soit réel, équilibré et constructif : à cet égard il me semble que rien n’est prévu dans le projet de loi pour une meilleure information des syndicats ni pour leur donner des pouvoirs accrus dans les conseils d’administration (ce dont le patronat ne veut certes pas entendre parler, alors que cette co-gestion semble plutôt bien réussir en Allemagne !).
Par contre, les nouvelles règles pour trouver un accord d’entreprise (syndicats majoritaires, ou syndicats minoritaires + référendum auprès des salariés) me semblent aller en faveur des syndicats dits réformateurs et favoriser une plus grande responsabilisation des acteurs.
Mais dans flexi-sécurité, il y a aussi sécurité !
Et là le projet de loi me paraît tout à fait déséquilibré et insuffisant. Je pense qu’il faut :
– Nettement préciser et sécuriser les durées et le niveau d’assurance-chômage (sous réserve de vérifier que le chômeur recherche réellement et activement un emploi). Le temps de chômage ne devrait plus être un drame social mais simplement un temps d’adaptation au changement.
– Revoir complètement le fonctionnement et les moyens de Pôle-emploi, avec un suivi plus permanent et personnalisé des chercheurs d’emploi, la complémentarité avec d’autres systèmes (cf. le succès du site Leboncoin.fr) et la coordination avec les nouvelles régions, ayant des responsabilités accrues en matière d’emploi.
– Surtout, la formation permanente doit être complètement repensée, quitte à fâcher (euphémisme !) les syndicats patronaux et de salariés, qui utilisent pour leur fonctionnement une bonne partie des fonds collectés, en toute opacité.
Les droits permanents et cumulatifs à la formation devraient constituer un volet essentiel de la réforme, pour permettre l’adaptation permanente à l’évolution des métiers et faciliter l’innovation.
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Bon ben voilà !
J’ai essayé de réunir des matériaux pour vous forger une idée. J’ai sûrement été incomplet, d’autant que le sujet est loin d’être stabilisé et qu’il peut même disparaître, avec d’autres mirages de notre vie politique…
A vous de nous faire part de vos avis, divergents si possible : rien ne vaut le débat pour avancer !
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Les sources que j’ai utilisées :
– Franceinfo.fr
– Lemonde.fr
– Europe1.fr
– Lesechos.fr
– Liberation.fr
Le projet de loi El Khomri
Merci jean-François pour ce travail de fond. Effectivement, les économistes sont très divisés, qui croire!? j’en ai entendu un autre qui ne jurait que par la défiscalisation du travail pour les entreprises, seule vraie possibilité de relance de l’économie et de diminution du chômage…je m’interroge.
j’ai déjà entendu parler de l’exemple de l’Espagne, mais vu le niveau de chômage, ne pouvait-il faire autre chose que remonter ??
C’est vrai que les patrons de moins de 10 salariés ont une vraie peur du CDI, car leur trésorerie est très serrée, donc sortir des indemnités d’un coup cela peut être difficile, mais à vérifier en détail…
Remarques:
Est-il possible de faire 12h de travail efficace dans une journée ?? et si cela dure plusieurs jours ?? 10h me semblent un maximum.
Des heures sup payées deux ans après, n’est-ce pas exagéré ?
Dommage qu’on n’avance pas plus sur Compte personnel d’Activité.
Le projet de loi El Khomri
Un article clair, pertinent, lumineux .Bravo Jean-François. Dans ce cas, une synthèse ne me paraît plus d’urgence, la conclusion finale, avec bien-sûr un engagement sans ambiguïté de ta part – est très instructive.
Pour ma part, je raisonne en ancienne adhérente et militante CFDT,syndicat dit « réformiste », mais que je pense « révolutionnaire » … au sens où les notions de compromis remplacent celles de lutte contre le Capital et permettent d’avancer, même de manière lente, au lieu de l’éternel sur-place que nous proposent les syndicats où même certains militants PS qui, selon moi, sont responsables des blocages de la société française.
Donc, une réforme du Code du Travail, inspirée tout de même par les travaux de Badinter et parrainée par de nombreux économistes, même imparfaite, me paraît urgente.
Les « Trente Glorieuses », période faste de l’après-guerre sont terminées et ne reviendront pas. Elles ont permis des avancées dans le domaine de l’emploi mais n’a pas su, lorsque les crises successives sont arrivées, anticiper sur la malheur du chômage. A trop vouloir encadrer l’emploi, on laisse de côté ceux qui n’ont pas d’emploi et pour certains ce fut ou c’est à vie. Et ce n’est pas parce que certains pays- mettons l’Angleterre-pour faire court, ont privilégié les emplois dits précaires- sur lesquels je trouve légitime de s’interroger- qu’il faut s’arcquebouter sur » la sécurité de l’emploi » notion qui aujourd’hui et, dans le contexte de la mondialisation, nous condamne à des taux de chômage effrayants.
Tous les gouvernements français, depuis quarante ans, n’ont pas pu ou pas voulu (mais oui, le cynisme existe en politique. Par exemple sur le mode « Paris vaut bien une messe » : une réélection, un poste, un nombre d’adhérents, une « paix sociale » valent bien un certain nombre de chômeurs…) prendre des mesures pour endiguer ce fléau, qui gangrène lentement mais sûrement
notre société. C’est pourquoi je suis pour cette réforme et je souhaite son approbation par nos députés et pourquoi pas par les députés PS pour qui des chômeurs ont voté ! C’était le moment de politique-réflexion de Dominique ! Bises à tous !
Le projet de loi El Khomri
J’ai bien lu ta réponse, et je pense souvent que des embauches plus souples pourraient donner du travail aux personnes sans emploi. Mais, dans le monde du travail, comme partout, il y a aussi des rapports de force. En France les lois sociales ont été votées souvent après des grèves ou un vote comme celui du Front Populaire ( Exception faite peut-être des orientations données par le Conseil National de La Résistance qui a impulsé une protection sociale sous l’impact du choc de la deuxième guerre mondiale- mais les sociaux chrétiens et les communistes y étaient nombreux, les patrons étaient plus nombreux du côté de Vichy). Je suis d’accord avec toi sur l’importance de la négociation, c’est pour cela que j’apprécie la CFDT, et Laurent Berger qui (poussé par sa base…) refuse certains points du projet de loi et continue à négocier. J’approuve les mouvements étudiants qui ont fait ramener les 39h à 35h pour les apprentis de moins de 18 ans. A suivre…
Le projet de loi El Khomri
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