Suite à mon article précédent, Jacqueline m’a branché sur un défi impossible : éclairer nos lanternes sur ce qui nous attend dans un avenir proche (c’est-à-dire au delà du déconfinement). Je m’y suis lancé dans ce que vous allez lire dans cet article, et que vous allez j’espère commenter et critiquer.
Au fur et à mesure de l’écriture, j’ai vu à quel point je laissais de côté des pans entiers de la réflexion. Je pense déjà à un autre article qui serait consacré à la démondialisation, la relocalisation de nos productions essentielles, la baisse probable de notre PIB, la lutte contre les inégalités…
Dans les semaines ou les premiers mois qui vont suivre le déconfinement, il va falloir relancer l’économie pour au moins trois raisons :
– Lutter contre le chômage et redonner du pouvoir d’achat à une partie considérable de la population.
– Limiter les faillites d’entreprises, touchées de plein fouet par le confinement qui a détruit leur marché. Ce sont surtout des PME – TPE, dans le secteur du bâtiment, les commerces non alimentaires, les restaurants, le tourisme, l’événementiel… Mais aussi certaines grandes entreprises (transport aérien…).
– Redonner des recettes fiscales à l’Etat, de façon à ce qu’il retrouve des marges de manœuvre pour faire face au nombre d’actions qu’il va devoir conduire.
Une remarque préalable : la crise économique actuelle touche l’économie réelle (c’est-à-dire les entreprises). De ce fait, la plupart des outils envisageables concernent en priorité la politique budgétaire (qui dépend des Etats), et ensuite la politique monétaire (qui dépend de la BCE en Europe).
Voici quelques éléments pour chacun de ces deux domaines
Les outils budgétaires
Ce sont les outils à la main de l’Etat, quand il définit son budget. Ce qui suit concerne la France
– Le financement du « chômage partiel »
Le processus arrêté est le suivant : l’entreprise verse 84% du salaire net à l’employé (dans la limite de 4,5 SMIC), et se fait ensuite rembourser par l’Etat. Ce versement permet à la fois :
– de maintenir un pouvoir d’achat indispensable aux salariés,
– de soulager les entreprises, dont beaucoup ne pourraient plus payer les salaires et feraient faillite.
A ma connaissance (mais ça bouge en permanence), cette mesure de chômage partiel concerne plus de 10 millions de salariés pour un coût de 20 milliards d’€, mais ça continue d’augmenter. Cette mesure va complètement « plomber » les comptes de l’UNEDIC, dont l’Etat garantit les emprunts. Certains envisagent la reprise en gestion par l’Etat (gestion actuellement assurée par les partenaires sociaux).
Pour info, on voit l’avantage d’un Etat protecteur, qui amortit les effets de la crise ; comparé à la situation aux USA, où le nombre de salariés sans ressources et d’entreprises en faillite explose. Ce qui en outre supprime la couverture santé des salariés, proposées par les assurances privées et généralement payées par les entreprises.
– Le report des charges des entreprises
l’Etat a ouvert aux entreprises la possibilité de reporter de trois mois leurs échéances fiscales et sociales. Le report repose sur le pari d’une reprise rapide de l’activité. Peut-être qu’une suppression (temporaire) devrait être envisagée selon le type d’entreprise ?
– La garantie par l’Etat des prêts bancaires.
Les PME et TPE souffrent particulièrement de problèmes de trésorerie : les dépenses continuent de courir et les recettes s’amenuisent, voire disparaissent (ex les commerces obligés de fermer). L’enveloppe arrêtée par l’Etat est très importante : 300 Mds d’€. Le remboursement sera échelonné sur 5 ans.
– L’aide de 1500€ versée aux TPE
Cette aide concerne en fait les TPE, les travailleurs indépendants, les professions libérales et les micro-entrepreneurs, dès lors que leur chiffre d’affaire est inférieur à 1M d’€ par an.
A noter que les indépendants peuvent aussi bénéficier d’un report de paiement des loyers et des factures d’eau, de gaz et d’électricité.
– D’autres actions sont également envisageables
– Un emprunt national obligatoire, comme il a déjà été fait en situation de guerre ou de crise économique particulièrement grave.
– L’augmentation des impôts directs ou de la TVA ? Cette mesure a a priori été écartée par G. Darmanin.
– Le retour de l’ISF, ou plus précisément le retour au seuil d’imposition antérieur.
– Certains économistes (notamment Thomas Piketty) demandent un impôt fortement progressif sur les revenus et le capital. Je rappelle que Roosevelt (dans le New Deal), avait porté la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu à 91% . Cette politique d’imposition élevée des plus riches sera maintenue pendant 50 ans, jusqu’à l’arrivée de Reagan au pouvoir.
Ces outils sont-ils efficaces ?
Comme souvent, il y a loin de la théorie à la pratique. Il me semble que deux écueils se présentent :
– Les lenteurs administratives.
Aucune des mesures ci-dessus n’est vraiment automatique. Il faut en faire la demande, il faut que le service concerné ait pris connaissance des procédures et les applique.
Dans bien des cas il faut aussi des procédures de contrôle pour vérifier si le demandeur est éligible, pour repérer les demandes frauduleuses, etc. C’est évidemment nécessaire mais la réactivité s’en ressent.
– La mauvaise volonté de certains acteurs.
Ce peut être le cas de certaines banques : bien que les prêts soient garantis par l’Etat, certaines semblent trainer des pieds, n’ayant guère envie de prêter à des entreprises actuellement insolvables et dont certaines vont faire faillite… Là encore, leurs réticences seront d’autant plus grandes que les procédures administratives pour recouvrer leurs créances seront complexes. Mais il faut bien contrôler et éviter les abus… Rien n’est simple.
Les outils monétaires
C’est à dire les outils dépendant de la BCE.
Dans la situation actuelle, les actions de la BCE sont indispensables pour épauler celles des Etats et éviter que le ralentissement économique n’entraîne une crise financière.
Les premières annonces de Christine Lagarde (120 Mds d’€ d’achats d’actifs) ont d’abord été perçues comme décevantes par les marchés, mais elles ont été rapidement complétées (750 Mds, somme que certains économistes, et Christine Lagarde elle-même, jugent encore très insuffisante).
Ces outils sont-ils efficaces ?
– L’essentiel de l’action de la BCE consiste à refinancer les banques. Ceci n’a de sens que si les banques réinjectent ces liquidités dans l’économie réelle en prêtant aux entreprises. Or depuis la crise de 2008, on connait le risque potentiel de ce système : que les facilités financières servent à la spéculation, c’est-à-dire acheter des produits financiers qui ont un rendement bien supérieur à celui de l’économie réelle.
– Ces outils sont d’autant plus efficaces si les marchés (les spéculateurs) ont la certitude de « perdre leur culotte » s’ils engagent un bras de fer avec la BCE. C’est ce que savait très bien faire Mario Draghi, prédécesseur de Christine Lagarde (quitte à outrepasser un peu le mandat de la BCE et les réticences de l’Allemagne).
Les divisions latentes au sein du conseil des gouverneurs sont à cet égard un point de faiblesse de la BCE, avec la divergences entre l’Allemagne et les Pays Bas face aux autres pays de la zone Euro.
– L’effacement des dettes au sein de la zone Euro.
La BCE a racheté 200Mds de dette souveraine des Etats. On pourrait, nous Européens, décider de ne pas nous rembourser ces dettes à nous-mêmes. Et d’utiliser la marge de manœuvre ainsi retrouvée pour financer un vaste plan sanitaire post-pandémie. C’est ce que préconise en particulier Gaël Giraud (ancien chef économiste de l’Agence Française de Développement). Vous me permettrez de ne pas rentrer plus dans les détails, n’ayant ni les infos ni surtout les compétences nécessaires.
Le grand dilemme de la relance
La nécessité d’une relance économique me semble faire consensus. Mais deux grandes options vont s’ouvrir, qui ont chacune des avantages et des inconvénients :
– Boucler la relance au plus vite, sans remettre en cause les finalités de celle-ci.
– Profiter de cette relance pour repenser le modèle de notre développement économique.
Relancer notre économie en l’état
– C’est évidemment la solution la plus simple et donc la plus rapide. Or la rapidité est un facteur essentiel de la réussite. A défaut, nombre d’entreprises vont faire faillite.
Outre le drame humain que cela représente, il est toujours plus facile de réactiver un tissu existant que de recréer les entreprises disparues.
– Mais les inconvénients d’une relance en l’état sont tout aussi dangereux. C’est la continuation d’activités productrices de CO², polluantes et ne respectant pas notre environnement.
La baisse actuelle du prix du pétrole est à cet égard un signal très négatif. Elle rend moins rentables les efforts pour diminuer nos consommations (exemple l’isolation des bâtiments), et donne un coup de fouet aux activités les plus polluantes (exemple le transport aérien).
Repenser notre modèle de développement, tout en le relançant
– La priorité doit évidemment être donnée au renforcement de notre système sanitaire : moyens financiers et humains des hôpitaux, production des masques, des tests, des respirateurs…
– Une attention toute particulière doit aussi être portée aux acteurs en seconde ligne, dont on redécouvre à quel point ils sont essentiels au bon fonctionnement de notre société : caissières de grandes surfaces, transporteurs, services aux personnes isolées…
– L’importance des services publics est enfin admise, y compris par notre président : l’Etat-providence qu’il ré-appelle de ses vœux, c’est aussi un Etat bien doté en services non-marchands : l’enseignement à ses différents niveaux, la recherche, la gestion des procédures d’aides évoquées plus haut…
L’importance des services publics doit d’ailleurs nous conduire à une prise de conscience : une vision strictement budgétaire des dépenses publiques est une vue de court terme : ne pas renouveler les stocks de masques n’est pas une économie, c’est un risque dont on mesure aujourd’hui le coût ! Bien entretenir un réseau de routes n’est pas seulement une dépense, c’est fournir un environnement nécessaire aux entreprises, qu’elles n’ont pas à financer, etc.
Quels secteurs de l’économie marchande doivent être prioritairement relancés ?
Il s’agit d’éviter l’erreur de 2008 où, suite à la crise, la France s’était immédiatement remise sur une trajectoire intensément fossile (cf. rapport du Haut Conseil pour le Climat).
Pour éviter cet écueil, il faut :
– Accélérer la rénovation énergétique des bâtiments, notamment en ce qui concerne l’isolation. A cet égard, les procédures d’approbation des aides doivent être durcies. Cf. La qualité déplorable de certaines réhabilitations, par des entreprises manifestement non qualifiées. Là encore je renvoie sur la nécessité de se doter d’une administration forte.
– Réorienter nos modes de transport en privilégiant les infrastructures bas carbone :
. Transports en commun, (ferroviaire, bus, trams…)
. Voitures individuelles électriques (sous réserve de recherche et développement concernant les performances, la réutilisation et le recyclage des batteries).
. Réseaux d’hydrogène pour les flottes de transport (bus, camions, trains).
– Arrêter les subventions ou exonérations fiscales accordées aux entreprises particulièrement productrices ou consommatrices d’énergies fossiles (pétroliers, cimentiers…). A l’inverse, il faut des aides publiques aux entreprises ou collectivités qui s’engagent dans des plans de réduction de leur dépendance carbone. Dans certains cas, des aides aux salariés peuvent aussi être envisagées (formation, reconversion).
– Adapter notre agriculture en relocalisant les productions, en respectant les cycles naturels, en limitant les intrants chimiques au profit d’une agriculture biologique… Cette adaptation va probablement diminuer les rendements et nécessiter plus de main d’oeuvre.
Je ne développerai pas ce thème ici, ayant l’intention de l’aborder plus complètement dans un prochain article consacré à la dé-mondialisation et la relocalisation de nos productions, tant industrielles qu’agricoles.
– Développer le recherche en matière de stockage d’énergie (batteries, hydrogène…)
– Renforcer l’enseignement sur la transition écologique, à tous les stades, primaire, secondaire, et supérieur.
En conclusion
Les principaux outils budgétaires à la main de l’Etat semblent avoir été mis en oeuvre. Ils peuvent être efficaces si les lenteurs administratives ou la mauvaise volonté de certaines banques ne viennent pas en retarder les effets. Mais les conséquences sur l’équilibre budgétaire vont être considérables. Les critères dits de Maastricht n’ont plus de sens dans la crise que nous vivons et ont d’ailleurs été oubliés (je rappelle ces critères : le déficit public annuel ne doit pas excéder 3 % du PIB, et la dette publique 60 % du PIB).
La contribution monétaire de la BCE est évidemment indispensable et devra probablement être augmentée, sous une forme ou sur une autre (coronabonds…). Ce qui va mettre à rude épreuve la solidarité des pays membres de la zone Euro (Allemagne et Pays bas face à la majeure partie des autres pays).
Dans notre drame sanitaire actuel, la crise économique offre peut-être une occasion inédite de repenser notre modèle de développement et d’engager enfin la transition énergétique que la planète nous impose. Saurons nous pousser notre gouvernement à s’engager dans cette voie, sans faux semblants ? Et s’il le fait, saurons nous l’accepter ? Rien ne sera plus comme avant ?
Ce qui nous attend (1/2)
Ce n’est pas un commentaire, mais une question : que veut dire :
«On pourrait, nous Européens, décider de ne pas nous rembourser ces dettes à nous-mêmes.»
bien amicalement
Dominique
Annuler à nous même la dette européenne ?
Salut Dominique-Lui.
Je suppose que ta question porte juste sur la compréhension de la phrase : « On pourrait, nous Européens, décider de ne pas nous rembourser ces dettes à nous-mêmes. »
Je vais essayer de l’expliquer par une parabole.
Supposons un couple qui s’entend bien, pas de problèmes entre eux.
A un moment, le mari a emprunté 5.000 euros à sa femme pour acheter une voiture.
A un autre moment, la femme a emprunté 5.000 euros à son mari, pour faire un voyage dont elle rêvait.
Tout se fit bien et ils oublièrent même ces 2 transactions.
Quelques années plus tard, le mari va voir sa banque et lui demande un emprunt pour changer son outillage de bricoleur. Le banquier lui répond : je ne peux pas, Monsieur, vous avez déjà un emprunt en cours et ça dépasserait votre capacité de remboursement.
Dans le même temps, la femme va voir sa banque et lui demande un emprunt pour renouveler sa garde robe. Le banquier lui répond : je ne peux pas, Madame, vous avez déjà un emprunt en cours et ça dépasserait votre capacité de remboursement.
Situation bloquée ! Mais le couple, un soir sur l’oreiller, se dit : et si on annulait les dettes que nous avons contractées l’un envers l’autre ?
Ce qu’ils firent, et évidemment ça ne leur coûta rien. Et ils purent retourner voir leur banquier, avec succès cette fois. Et chacun de pouvoir acheter, qui son outillage, qui sa garde robe.
Dominique-Lui, si jamais ta question portait, non sur le sens de la phrase, mais sur les modalités financières de l’annulation d’une dette, je t’invite à regarder la réponse que je vais faire à Christine, qui pose cette question (entre autres)
Clin d’œil du macho de service
Chères lectrices, chers lecteurs,
Dans ma parabole en réponse au message de Dominique-Lui, j’ai glissé les poncifs les plus éculés sur les relations homme-femme : Monsieur bricole et s’intéresse à la bagnole, Madame change de robe et part en voyage. J’espérais une avalanche de propos indignés, mais rien (sauf de Dominique V.). Je fais deux hypothèses :
– Vous avez lu distraitement et n’avez rien remarqué.
– Vous-vous êtes dit : ce JF est tellement macho que ça ne vaut même pas qu’on lui réponde !
Finalement, l’exercice de la parabole au second degré est difficile.
Ce qui nous attend (1/2)
Merci Jean-François pour la suite de ces exposés qui devraient nous aider à mieux cerner le présent et l’avenir !!!
Quelques petites questions :
Pour récupérer dans le futur les sommes considérables d’argent prêtées ou investies par l’Etat, tu évoques le retour de l’ISF, ce qui paraît moralement et éthiquement la moindre des mesures, mais on nous a toujours dit que c’était « peanuts ». L’impôt fortement progressif sur revenus et capital, oui bien sûr…est ce que c’est le Parlement qui devrait voter cette proposition qui émanerait du chef de l’Etat ? Combien de mois pour l’appliquer ? Est-ce possible pour la France seule, ou serait ce envisageable au niveau de l’Europe ? Y a t-il des pays prêts à appliquer ce système ?
En ce qui concerne la BCE, qui finalement prête aux Etats, on parle de sommes considérables. Si elle fait marcher la planche à billets, comment détermine t-elle les montants maximum disponibles ? Sur quels critères ces sommes sont-elles ensuite réparties entre les Etats Européens ? Est ce que les autres Banques (FED US , Banque d’Angleterre, Chine) font les mêmes manœuvres ? Si tous les états du Monde sont très endettés, l’effacement de toutes les dettes serait-il envisageable et quelles seraient les conséquences ? qui y perdrait ?
Quant aux grandes orientations de l’économie future, on a l’impression que l’opinion publique est prête, mais combien de temps sera-t-il nécessaire pour créer les outils pour, par ex, la rénovation des bâtiments (à priori le plus simple), le rail (rouvrir les anciennes lignes, développer le fret sur rail (très complexe), la voiture (peut-on arrêter de subventionner la construction des SUV, la recherche sur la conduite autonome et autres projets inutiles ?) … Quel chantier !
Bises à tous deux
Ce qui nous attend (1/2)
Salut Chris,
Trois questions dans un message, et pas des moindres (Fiscalité, BCE, Relance éonomique) ! Je me lance quand même et je vais essayer de faire court. Allons- y, question par question.
1. La partie fiscale
Pour la faisabilité, une Loi suffit. Proposition déposée par le Premier Ministre ou par un parlementaire. L’Assemblée nationale vote pour, le Sénat contre ( ! ). Navette et finalement la Loi est adoptée…
Comment analyser l’efficacité ?
– Concernant le retour à l’ISF initial (on a maintenant l’IFI, Impôt sur la Fortune Immobilière).
. Psychologiquement, le mal est fait : un gouvernement pour les riches…
. Est-ce que ça a entraîné l’exil fiscal des riches ? Sans doute quelque-uns, fortement médiatisés (Depardieu…). Globalement, la France reste un Etat très attractif, par la qualité de ses infrastructures, la qualité de ses scientifiques, le regroupement de pôles d’excellence (Ile de France, Lyon, Toulouse…), etc.
. L’Etat récupérerait 3Mds d’€, pas négligeable, mais effectivement peu au regard des investissements nécessaires pour la relance post-crise.
. Bien que la France soit un des rares pays à le faire, le maintien de l’IFI (impôt sur la fortune immobilière) me paraît normal: l’immobilier procure une rente qui ne sert ni l’innovation ni l’investissement.
. La suppression de l’impôt sur les valeurs mobilières a-t-elle amélioré l’investissement, puisque tel était l’objectif ? Le rapport 2019 du comité d’évaluation a jugé qu’il était trop tôt pour le savoir. Les premières pistes : les gains des riches auraient plutôt servi à leur consommation qu’à l’investissement. Mais l’attractivité de la France à l’étranger se serait améliorée…
. Globalement, je suis d’accord avec toi : moralement et éthiquement, c’est la moindre des mesures.
– Concernant la forte progressivité de l’impôt (demandé par Piketty).
. Il a très bien marché aux USA, pour sortir de la crise des années 30 (New Deal) et pendant 50 ans.
. La psychologie des riches est sensiblement différente aux USA : Ils n’aiment pas l’impôt, mais ils contribuent fortement au financement des fondations, par des dons volontaires. Et la transmission du capital aux enfants est moins bien perçue qu’en France (il faut que chacun refasse ses preuves…).
. La droite crierait évidemment à l’impôt confiscatoire. Avec les seuils prévus par Piketty, la confiscation reste douce…
. Ce serait sans doute mieux que cette mesure soit prise dans un cadre européen, mais quelle probabilité qu’il en soit ainsi ?
. La refonte complète du système d’imposition en France et la forte taxation des hauts revenus serait aussi un moyen de lutter contre les inégalités.
2. La BCE
Comment détermine-t-elle les montants nécessaires ?
Chaque Etat soumet à la Commission son projet de budget. Suite à la crise, les différentes aides envisagées par chaque pays fournissent une indication de l’enveloppe pour la BCE (les 750Mds d’€, qu’il faudra peut-être relever à 1500 Mds). Comment se fait la répartition entre les pays ? Je pense lors d’arbitrages au sein du Conseil des Gouverneurs (avec les oppositions récurrentes du gouverneur de la Deutsche Bundesbank). A noter que les décisions de la BCE n’ont pas besoin de l’unanimité, d’où sa remarquable capacité d’action.
Quid des autres banques centrales ?
Les mécanismes sont assez semblables :
– Une assez forte indépendance de la banque centrale par rapport au pouvoir politique (au grans dam de Trump face à la FED).
– Le levier de la création monétaire, que seules les banques centrales peuvent utiliser (forme modernisée de la planche à billets).
Effacement de toutes les dettes ?
Ce n’est pas évident. Voyons d’abord qui sont les propriétaires de ces dettes (c’est à dire qui a prêté de l’argent aux Etats). On en distingue 3 types :
– Les particuliers, qui épargnent et achètent de la dette de leur pays, par exemple via des «assurances-vies».
– Les investisseurs institutionnels (les zinzins) : fonds de pensions, fonds spéculatifs, Etats ayant trop de liquidités (pays du Golf, Chine…) et qui veulent les placer.
– La banque centrale (BCE, FED, banque d’Angleterre…).
– « Annuler » la dette des particuliers : ça voudrait dire que leur épargne ne vaudrait plus rien. Les économies de toute une vie partie en fumée… Donc quasi inenvisageable !
– « Annuler » la dette des zinzins : ça équivaudrait à déclarer le pays en faillite. C’est arrivé à l’Argentine, elle a mis des années d’austérité pour s’en sortir, avec des crises de la faim et des émeutes meurtrières. Donc très dangereux !
– Reste la banque centrale.
L’annulation de la dette est peut être plus envisageable dans un ensemble fermé et homogène, comme la zone Euro. Tu peux regarder ma parabole en réponse à la question de Dominique-Lui. Elle vaut ce qu’elle vaut…
3. Les moyens de relancer l’économie
Tu évoques ensuite des thèmes de développement de la future économie : la rénovation énergétique des bâtiments, le rail, le frêt, etc. comme tu dis, quel chantier ! (Je n’ai fait que l’effleurer à la fin de cet article)
Effectivement c’est un énorme chantier. Ce qui me semble important ce serait déjà de l’engager, de considérer que c’est possible et de ne pas se précipiter (comme c’est à craindre), dans la reconduction en l’état de notre modèle économique actuel.
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Ce qui nous attend (1/2)
Merci Jean-François pour ces compléments très clairs à mes interrogations. C’est en effet très heureux que la BCE n’ait pas besoin de l’unanimité pour les prises de décision.
Ce qui nous attend (1/2)
Mon petit cousin me semble un doux rêveur…
Je te dis ça bien sûr après avoir lu attentivement ton article.
Ce qui nous attend (1/2)
Salut Colette,
Je ne suis pas loin d’être d’accord avec toi. Il est très possible (probable ?) que dans 6 mois ou 1 an, tout sera redevenu comme avant.
Et on continuera droit dans le mur, avec plus de pollution, plus de dérèglement climatique, plus de destruction de la biodiversité, plus de risques de pandémies, plus d’inégalités dans le monde et de pillage de l’Afrique, moins d’Europe et donc moins de défenses face à l’Amérique et à la Chine…
Mais comme je suis rêveur ou plutôt je pense que le pire n’est jamais sûr, j’ai quand même écrit cet article.
Ce qui nous attend (1/2)
Merci pour cet expose, tres clair comme d’habitude.
Je suis d’accord avec toi : la sortie de crise et la reprise economique vont nous donner l’occasion de repenser les outils habituels de relance economique, en nous efforcant de reduire notre consommation d’energies fossiles et en privilegiant les choix compatibles avec la transation ecologique. C’est le moment d’etre imaginatif et ambitieux, comme les Etats-Unis ont pu l’etre apres la deuxieme guerre avec le plan Marshall.
Pierre
Ce qui nous attend (1/2)
Merci pour ce dossier très clair et complet. Cependant je suis un peu étonnée que dans « les secteurs de l’économie à relancer prioritairement » tu ne parles que très brièvement de la transition énergétique et uniquement dans la conclusion. Ne serait il pas le moment de sortir du bourbier du réacteur EPR de Flamanville, véritable gouffre financier (la facture est passée de 3 à plus de 12 milliards) et dont les nombreux défauts en font un projet explosif . On pourrait enfin s’orienter vers une véritable transition énergétique domaine dans lequel la France a pris beaucoup de retard par rapport à ses voisins européens. Qu’en penses tu? Bien amicalement
Ce qui nous attend (1/2)
Bonjour Françoise,
Tu as tout à fait raison d’insister sur la transition énergétique. Dans l’article j’ai mentionné les trois secteurs les plus préoccupants pour cette transition : habitat, transports et entreprises. Mais je n’ai pas abordé les modes de production de l’électricité, qui te préoccupent à juste titre avec l’EPR de Flamanville. C’est le dilemme entre « électricité nucléaire » ou « électricité verte » (éolien, solaire…), qui pose plein d’autres problèmes dépassant le cadre de mon article : sécurité du nucléaire et coût du démantèlement d’une part, intermittence de la production « verte » et coût du stockage d’autre part. On avait fait récemment une soirée de copains sur ce thème. Peut-être un autre article ?