Dans le cadre du soutien scolaire que je donne en tant que bénévole, j’ai suivi une journée de formation intitulée « gestion de l’erreur » organisée par l’association Entraide Scolaire Amicale. Voici un aperçu de mes notes, complété par quelques informations glanées sur internet. Comme je suis complètement néophyte en la matière, cela paraîtra sans doute bien trivial (mais j’espère pas trop faux) à ceux qui s’y connaissent, aux professionnels de la pédagogie !
Nous étions une vingtaine de stagiaires, en général retraités, beaucoup d’anciens profs, avec une parité de profils littéraires et scientifiques. Chacun de nous s’occupe de un à trois jeunes à raison d’une séance hebdomadaire en session particulière à domicile. L’intervenante du stage, Danièle Henuset, belge et logopède de son état (orthophoniste en français) a placé sa présentation dans le cadre de la « gestion mentale ».
La gestion mentale
La gestion mentale, développée par le philosophe Antoine de la Garanderie, est l’exploration, la description et l’étude des processus de la pensée consciente lors d’une prise d’information, de son traitement et de sa restitution. Le terme gestion fait plus référence aux « gestes » mentaux qu’à l’action de gérer. C’est donc une discipline particulièrement intéressante dans le cadre du soutien scolaire. Elle se place sur le terrain des habitudes mentales et non des aptitudes. On peut faire le parallèle entre un geste mental et un geste physique, devenu une habitude, comme marcher, faire du vélo. Quand le geste est bien ancré, il n’y a pas besoin de mobiliser beaucoup de ressources pour l’effectuer. La théorie de la gestion mentale identifie trois phases dans l’acquisition des connaissances :
- La perception : l’élève reçoit par ses sens ce que lui transmet, lui explique le professeur.
- L’évocation : c’est une image mentale, visuelle, auditive ou verbale, par laquelle le sujet rend mentalement présent le monde qui l’entoure, la réalité qui est, ou celle qu’il invente. Les évocations sont les constructions mentales des objets de perception. Elles ne sont pas en lien direct avec les organes des sens. L’objet perçu étant extérieur au sujet, les évocations qu’il s’en fait sont très personnelles, intérieures à lui-même. Elles peuvent être fixes ou mobiles, abstraites ou concrètes. Le champ mental peut être plus ou moins étendu et tenir compte simultanément d’une plus ou moins grande quantité d’évocations.
- La restitution : c’est le temps de l’évaluation où l’on apprécie la qualité de la production.
L’intervenante a présenté cinq « gestes mentaux » mis en œuvre au cours du déroulement de ces phases : l’attention, la mémorisation, la compréhension, la réflexion, l’imagination. Chaque geste comporte un projet et une action.
L’attention : Le projet du geste mental d’attention est de donner une existence mentale au perçu. C’est ce qui va permettre de passer du monde extérieur (la perception) au monde intérieur (l’évocation), c’est la direction donnée à l’activité mentale. Voici un exemple de deux objectifs fort différents, qui correspondent à des projets différents :
- Acquérir un savoir faire
- Comprendre le pourquoi
Il est utile de bien expliciter l’objectif pour qu’un projet adapté soit construit.
On ne peut pas faire attention à tout, l’attention nécessite une sélection dans les perceptions. Exemple d’objectif mal défini : « fais attention ! ».
Objectif mieux défini : « lors d’un devoir en physique, fais attention à respecter l’ homogénéité des formules ».
L’action du geste mental d’attention est d’évoquer, visuellement ou auditivement (ou verbalement) le perçu.
La mémorisation : mécanisme essentiel à notre survie, il aggrave les mauvais souvenirs (pour éviter les situations de danger) et sublime les bons. La mémoire est toujours chargée émotionnellement. Pour revenir au sujet du stage, il est important pour l’élève de bien mémoriser ses erreurs et de ne pas les refouler ; on peut dire à l’élève, l’erreur va revenir, c’est normal ! (si on ne change rien). La mémoire suppose que s’est formée au préalable une image mentale. Avant une session de soutien scolaire, il est utile de préciser à l’élève qu’il doit se rappeler les points où il a été aidé pour être débloqué. Ensuite, en fin de session, il est essentiel de prendre le temps de revenir sur ces points de blocage et de faire le bilan.
La compréhension : comprendre, c’est assimiler et transformer, traduire pour soi, c’est rendre concret ce qui est abstrait, et en cela, les images mentales sont d’un grand secours. Comprendre est un acte qui relève de l’intime, difficilement modélisable. Cela explique que nous comprenions différemment un même objet d’étude, qu’une phrase n’a pas le même sens pour chacun de nous. D’où les difficultés à apprendre et communiquer.
La réflexion : c’est une recherche de sens qui ressemble à la compréhension, mais s’en distingue par la relation avec les acquis préalables. Il y a confrontation de la nouvelle image mentale avec celle qu’on avait auparavant.
L’imagination : C’est créer du sens « inédit », tirer davantage du réel existant. Pour développer l’imagination, il peut être utile de commencer par des exercices de simple copie, qui permettent de s’approprier déjà le réel existant et pourront être plus tard une base à l’imagination.
Troubles
L’intervenante nous illustre des troubles de la compréhension par deux exemples :
Maria
Maria était une élève adulte étrangère de l’intervenante. Elle n’arrivait pas à écrire son nom en lettres cursives. On le lui épelle, on lui écrit (voir illustration en 1) en insistant bien sur le « m » suivi de « a », et quand on lui demande ce qu’est voit, elle dit des « u ». Maria souffre de troubles qui lui font confondre arrière-plan et avant-plan (les traits et le vide entre les traits), le tracé d’une forme et ses symétriques (b et p par exemple). Elle a donc raison de voir plein de u (en rouge sur l’illustration en 2), dont certains sont inversés verticalement. Si on lui dit mais fais attention, elle voit de plus en plus ses « u ». Maria n’avait donc pas bien compris ce que signifiaient ces tracés.
On est sorti du blocage en lui montrant son nom en lettres blanches sur fond noir, détachées, écrites en colonne en commençant par le bas (sur l’illustration en 3). Une suite est plus naturelle dans le sens vertical, en commençant par le bas, c’est comme cela qu’on empile les choses, plutôt qu’en horizontal où le sens gauche-droite est arbitraire. Il est sûr que c’est une « astuce » pour débloquer et qu’on ne pourra pas s’en tenir là, mais c’est un point de départ.
Le problème d’arithmétique
Deuxième exemple avec un enfant à qui l’on pose le problème suivant :
5 – 2 = ?
Réponse de l’enfant : 5. Son explication : si on enlève 2 à ce qui est écrit à gauche du signe égal, il ne reste plus que 5 ! Dans cet exemple, c’est la nature du problème posé et sa convention d’écriture qui n’est pas comprise.
La compréhension fait appel à des mécanismes qui nous paraissent évidents tant on les utilise inconsciemment. Lorsqu’il y a incompréhension, ce n’est en général pas de la mauvaise volonté et il faut véritablement enquêter pour s’apercevoir de ce qui ne va pas, remettre en question des évidences pour nous. En fait l’erreur de compréhension est un puissant outil de travail de l’aidant.
Gestion de l’erreur
Travaux pratiques
Après cet exposé théorique qui nous a occupés durant la matinée, suivi d’un pique-nique arrosé de Côtes-du-Rhône pour nous vivifier l’esprit, nous passons aux travaux pratiques pour appréhender la gestion de l’erreur : exercice de pliage pour confectionner un tétraèdre à partir d’une feuille A4. Les scientifiques savent ce que c’est, les littéraires pas tous, un stagiaire ancien prof de maths nous explique que c’est une pyramide régulière à base triangulaire. Une image mentale est appelée à la rescousse, le berlingot utilisé il y a quelque temps pour conditionner le lait. Pour d’autres, une meilleure évocation prend la forme de bombes à eau que, gamins, nous laissions choir sur la tête des gens qui passaient sous nos fenêtres (perso, mes bombes à eau n’étaient pas tétraédriques). L’intervenante nous explique les phases du pliage, nous sommes autorisés à prendre des notes, puis chacun doit faire son pliage, mais sans relire ses notes. Heureusement, quelques stagiaires échouent.
On fait le débriefing de l’exercice. On commence par la phase « perception ». L’intervenante, dans son explication du pliage, a pris soin d’alterner les modalités : auditive avec explication verbale, visuelle en montrant le pliage et les gestes des étapes. C’est l’illustration de quelques principes à appliquer :
- Pour un auditoire avec des profils différents, il est utile d’alterner parole, gestes, manipulations d’objets, représentations graphiques. Dans cet exemple, on peut imaginer que, pour différentes personnes, l’image mentale du pliage peut se faire par la succession de phrases décrivant les étapes, ou l’enchaînement des gestes des mains, ou les images de la feuille partiellement pliée.
- Cependant, il ne faut pas saturer la perception de l’élève : quand on montre on ne parle pas, quand on décrit on ne montre pas.
- Pour un élève auditif, il vaut mieux montrer, il se racontera lui-même son histoire. Pour un visuel, il vaut mieux décrire, il construira sa propre image. On évite ainsi de parasiter les représentations mentales intérieures de l’élève avec une représentation imposée de l’extérieur.
On s’est ensuite intéressé à une stagiaire qui n’était pas arrivée au bout du pliage. L’intervenante a demandé qu’un stagiaire volontaire l’aide et on a observé la session d’aide :
L’aidant a simplement demandé de refaire le pliage en repartant du début. Elle le commence et se bloque au même endroit. Elle dit en avoir marre, qu’elle était sûre de bloquer là, on voit sur sa figure son exaspération. L’aidant essaie en vain de la faire sortir du problème en expliquant avec des mots, on a l’impression qu’elle n’écoute pas les mots, rien n’y fait, il craque et finit le pliage lui-même !
L’intervenante est ravie, voilà un cas intéressant à analyser. Elle commente ce blocage, la façon dont l’aidant s’y est pris, et questionne de façon détaillée la personne qui avait fait le pliage sur ce qu’elle avait compris lors de l’explication. Il apparaît que l’élève s’était focalisée sur le mot « bissectrice » prononcé au début par l’intervenante, et qui d’ailleurs n’était pas essentiel au pliage. Par contre, la stagiaire a occulté des consignes montrées par gestes à la fin. Au cours de l’aide le blocage s’est reproduit exactement à la même étape que la première fois, ce qui est normal puisque rien n’avait changé entre les deux essais.
L’erreur
La journée se conclut sur des considérations plus générales sur l’erreur.
L’erreur se produit rarement par hasard, ou par simple étourderie. Elle est en général le symptôme d’une évocation défectueuse. C’est une aubaine pour le professeur et l’élève. En prenant le temps et la peine d’exploiter l’erreur en enquêtant sur ce qui a pu se passer, sur les images mentales sous-jacentes, on peut développer une stratégie pour y remédier. Pour une séance d’aide scolaire, Il faut parfois prévoir de passer plus de temps à cette enquête que sur le travail « direct » cours ou exercices. Cela peut paraître frustrant à l’aidant et à l’aidé… qui voit le temps passer sur un point alors qu’il reste plein d’autres exercices à faire !
L’erreur elle-même n’est pas facile à vivre pour l’élève (qui se dit parfois « de toute façon, je suis nul, je savais que je ne pouvais pas le faire »). Accepter d’être aidé est encore plus difficile, car on prend le risque de se percevoir encore plus négativement si on réitère des erreurs après qu’on a été aidé. C’est donc un acte de courage.
Journée intéressante, j’en sortais en espérant que mes élèves feraient plein d’erreurs lors de la prochaine séance. Pour en savoir plus, il existe une quantité de sites internet traitant de la gestion mentale.
PS : L’intervenante m’a envoyé de la documentation sur la gestion mentale, que je peux transmettre à ceux qui sont intéressés. Un extrait ici, sur une représentation visuelle des tables de multiplication :
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