La taxe carbone

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Compte rendu de la conférence tenue par Christian de Perthuis le 14 décembre 2014, dans le cadre des JECO (journées de l’économie) de Lyon.


perthuis.jpgC. de Perthuis est professeur associé à l’Université Paris-Dauphine. Il est président du Comité pour la Fiscalité Écologique.
Ce Comité comprend 150 personnes représentant l’ensemble des forces de la société française (Assemblée et Sénat, collectivités territoriales, entreprises, secteur agricole, syndicats, associations, etc.). Il est organisé en commissions et a pour objet de fournir au gouvernement des orientations en matière de fiscalités écologiques. Ses travaux récents ont porté sur la mise en place d’une taxe carbone, une bonne part de ses conclusions a été reprise dans la Loi de Finance 2014 (article 20)

#Pourquoi une taxe carbone ?

L’objet d’une taxe carbone est de gérer la transition vers une économie bas-carbone. En effet :

  • Si on ne se préoccupe que du stock d’énergie fossile sans s’intéresser au climat, les forces régulatrices du marché suffiront à assurer la transition énergétique : au fur et à mesure que les ressources s’épuiseront, les prix augmenteront et orienteront les consommateurs vers les énergies renouvelables.
  • Par contre, si on considère que la vraie rareté n’est pas l’énergie, mais la capacité de l’atmosphère à réguler le climat, alors le marché (laissé à lui-même) n’aura aucun effet régulateur, puisqu’il n’intègre pas cette rareté.
    Il faut donc donner un « signal prix » qui la prenne en compte, c’est l’objet de la taxe carbone. En renchérissant le prix des énergies fossiles, la taxe carbone conduira les consommateurs (particuliers et entreprises) à moins faire appel à celles-ci et à se reporter sur des énergies renouvelables devenues (par comparaison) moins coûteuses.

    JF : il existe un autre système que la taxe carbone pour réguler les émissions de CO². C’est le système des quotas mis en place dans certains Etats aux USA et par l’Union Européenne. Ce système ne concerne que certaines entreprises (1200 sites en France) alors que la taxe carbone aurait vocation à concerner tous les autres utilisateurs (ménages et entreprises). Voir l’encadré ci-contre.

#Quel prix donner au carbone ?

Pour modifier les comportements, il ne suffit pas d’indiquer un prix actuel de la tonne de CO² produite, il faut aussi indiquer une trajectoire de prix sur plusieurs années, de façon à ce que les consommateurs puissent préparer et mettre en œuvre les investissements nécessaires au changement.
Pour assurer une transition énergétique efficace et rapide, un certain consensus s’est établi entre économistes pour valoriser la tonne de carbone à 40€ actuellement, et environ 100€ en 2030. Quel que soit le bien fondé de ces valeurs, elles ont paru inacceptables au démarrage et de nature à faire capoter le projet (de même que la taxe carbone prévue sous la présidence Sarkozy a finalement été abandonnée).

C. de Pertuis, en accord avec le comité, a donc proposé une approche différente :

  • Instituer une taxe carbone pour les émissions de CO² non visées par les quotas.
  • Respecter l’engagement du gouvernement de ne pas créer d’impôt nouveau en 2014, La taxe doit donc se substituer à un impôt existant.
  • Valoriser la tonne de CO² à un niveau suffisamment faible au démarrage pour être pratiquement indolore.
  • Prévoir une montée en charge progressive.

C. de Perthuis n’a pas cherché un accord impossible entre les membres du comité sur le montant de la taxe, leurs intérêts étant contradictoires. Sous son nom, il a proposé directement des valeurs, à charge pour le gouvernement de les accepter ou non :

  • 7€ la tonne de CO² en 2014, soir une valeur équivalente à celle du marché des quotas. Cette valeur a effectivement été retenue dans la Loi de Finance 2014.
  • Trajectoire d’évolution fixée jusqu’en 2020. Le gouvernement a accepté les valeurs proposées mais en limitant le projet à 2016, pour ne pas engager au-delà de la législature : 14,5€ en 2015 et 22€ en 2016.

#Comment affecter le produit de la taxe ?

D’une façon générale, la fiscalité écologique est mal comprise, tant par les élus que par les citoyens :

  • Pour la majorité d’entre eux, la fiscalité écologique n’est pas définie par son assiette, c’es à dire les comportements néfastes à l’environnement, en vue de les faire évoluer.
  • Mais par son usage. Le produit de la fiscalité doit financer des actions en faveur de l’environnement.
    Cette approche est restrictive, dans la mesure où trois types d’usages peuvent être envisagés :

    • Effectivement des actions de politique environnementale, par exemple la réhabilitation thermique des logements. Mais aussi :
    • La réduction du déficit budgétaire.
    • Des compensations aux ménages (ménages pauvres, classes moyennes ?) ou aux entreprises.

Telle que fixée dans la Loi de Finance 2014, la taxe carbone va rapporter environ 6 milliards d’€ d’ici 2016, dont 3 milliards sont dès maintenant affectés au CICE (Crédit Impôt Compétitivité Emploi).
La commission a proposé que les 3 milliards restants soient affectés à une compensation aux ménages défavorisés (le décile inférieur des revenus) avec une valeur dégressive pour éviter l’effet de seuil. Cette proposition ne fait pas explicitement partie de la Loi de Finance.

#Les problèmes posés par la taxe carbone

Comment faire cohabiter la taxe et les quotas ?

Une solution serait de supprimer le système des quotas pour les entreprises qui y sont soumises et de leur appliquer la taxe carbone.
C. de Perthuis n’est pas favorable à cette solution, revenant à torpiller le système des quotas qui certes fonctionne mal mais qui a été institué au niveau européen.
Il lui paraît préférable de réformer le système, d’abord en ayant un engagement effectif au niveau politique (Conseil des chefs d’Etat et de Gouvernement), ensuite en confiant l’organisation du marché à un organisme européen sachant faire fonctionner un marché, et non à une commission compétente uniquement sur les aspects écologiques.

Faut-il que le nucléaire supporte la taxe carbone ?

Cela ne paraît pas très logique dans la mesure où le nucléaire produit peu de CO² (NdR : l’essentiel du CO² est émis lors de la construction de la centrale et notamment pour la fabrication du béton).
Par contre il faut introduire des instruments pour réguler le nucléaire

JF : je pense que C. de Perthuis fait ici allusion à la prise en compte dans le prix de l’électricité des surcoûts de la sécurisation définie suite à Fukushima. Les écologistes pensent que ces surcoûts seraient en mesure de rendre les énergies renouvelables compétitives. On peut en douter si on prend en compte le coût de l’intermittence (stocker l’énergie pour pallier les périodes sans vent ou sans soleil).

La taxe carbone a pour but d’internaliser une externalité négative, en l’occurrence la dégradation du climat liée aux émissions de CO².
L’externalité non prise en compte par le nucléaire est le risque induit sur la santé humaine par les rejets éventuels et surtout en cas d’accident majeur. Il serait donc logique d’internaliser le coût de ce risque qui, en théorie, peut être calculé comme :
« Une probabilité d’occurrence » (a priori très faible) X « le coût de remise en état » (a priori incommensurable en cas d’accident très grave).
Rappelons qu’aucune compagnie d’assurance ne veut garantir le risque nucléaire, et que seuls l’opérateur et en dernier ressort l’Etat sont en mesure de prendre en charge tout ou partie de ce risque.

Faut-il que les bio-carburants supportent la taxe carbone ?biocarburants.gif
JF : Les bio-carburants (bio-éthanol et bio-diesel) de 1ère génération sont produits à partir de végétaux alimentaires (canne à sucre, betterave, céréales…) et posent de graves problèmes : concurrence avec les produits alimentaires, envolée des cours et risques de famines, confiscation des terres agricoles…).
A moyen terme, on envisage des bio-carburants de 2ème génération, produits à partir de végétaux non alimentaires, et à long terme de 3ème génération, produits à partir d’algues cultivées spécifiquement.

Certains écologistes défavorables aux bio-carburants soutiennent cette hypothèse le leur faire supporter la taxe carbone.
Là encore et quels que soient leurs inconvénients majeurs, cela ne paraît pas très logique dans la mesure où ils émettent peu de CO².
Globalement et pour C. de Perthuis, la logique voudrait que l’on taxe les énergies au prorata de leurs émissions de CO², telles que définies dans les conventions nationales et internationales.
Par ailleurs et dès lors que l’on met en place une taxe carbone, il serait normal de diminuer les subventions dont bénéficient les énergies renouvelables.

Faut-il exonérer le secteur agricole de la taxe carbone ?

La commission n’a prévu aucune exonération pour ce secteur. Ou alors il faudrait envisager de taxer les émissions de méthane, notamment produites par l’élevage (bovin, porcin, …).
Par ailleurs un certain nombre d’agriculteurs trouvent un intérêt à la taxe carbone, dans la mesure où elle favorise les énergies renouvelables et permet donc de développer la méthanisation (transformation en méthane des résidus de récoltes, lisiers, etc.). Le méthane produit peut en effet être valorisé sur place (chaleur) ou vendu pour être injecté dans les réseaux de gaz naturel.

#Annexe : Loi de de Finance 2014

Extrait de l’exposé des motifs de l’article 20

Il est proposé une augmentation des taux de TIC progressive et proportionnée au contenu en dioxyde de carbone (CO2) des différents produits énergétiques. Le tarif de l’impôt sera fixé pour chaque produit de manière à tenir compte de son impact sur l’effet de serre, en intégrant la valeur du CO2 contenu dans le produit, à partir d’une valeur de la tonne carbone de 7 € en 2014, 14,5 € en 2015 et 22 € en 2016. Ce dispositif s’inspire du projet de réforme de la fiscalité européenne de l’énergie proposé par la Commission européenne et soutenu par la France.

2 réflexions sur “La taxe carbone

  1. La taxe carbone
    3 novembre 2014 : je viens d’apprendre que C. de Perthuis avait démissionné de la présidence de la commission sur la fiscalité écologique.
    Le contraire eut été étonnant, dès lors que S. Royal avait indiqué qu’elle ne voulait pas « d’écologie punitive » et avait supprimé l’éco-taxe, sans même en avertir le président de la Commission chargée de lui faire des propositions sur ce thème !
    Parler « d’écologie punitive » me paraît d’une rare démagogie, avec l’emploi volontairement chargé du terme « punitif ».
    Est-ce « punitif » de taxer l’organisme pollueur pour qu’il modifie son comportement, est-ce « punitif » de taxer la cigarette, compte tenu des dégâts qu’elle cause à l’individu (on peut évidemment penser que c’est son problème…) mais aussi à la société toute entière (arrêts maladie, Sécurité Sociale…) ?
    La suppression d’une fiscalité écologique et son report sur la fiscalité générale est-elle moins punitive ? On déplace plutôt la « punition » : ce n’est pas le pollueur-responsable qui paye mais le contribuable, qui supporte alors la double peine : impôt et pollution !
    Décidément, S. Royal reste ubuesque en tant que ministre de l’écologie… Ne voulait-elle pas aussi (et de quel droit ?) rendre les péages gratuits sur les autoroutes pendant le WE ? En voilà d’une bonne mesure écologique pour limiter les embouteillages, la pollution et les émissions de GES du dimanche soir !

    1. La taxe carbone
      Je découvre ton article à l’occasion de ton dernier commentaire (j’avais dû louper la notofication de la mise en ligne). Je suis toujours impressionné par la clarté de ton exposé !

      Je trouve qu’il vaudrait mieux faire une taxe « effet de serre » qui regrouperait CO2 et méthane (mais c’est peut-être déjà fait en faisant une équivalence CH4 /CO2 ?)
      Je ne comprends pas trop pourquoi certains voudraient appliquer cette taxe à des filières non carbonées (nucléaire, bio carburants), à part des arguments idéologiques.
      La proposition de De Perhuis avec un démarrage pratiquement indolore et une montée en puissance progressive me semble la bonne approche au niveau de l’acceptabilité, notamment en offrant un temps d’adaptation aux acteurs économiques.
      Quant à l’affectation des recettes de cette taxe, ça me semble un problème secondaire, sauf pour « vendre » le concept aux électeurs. Le principal est de faire mal au porte-monnaie pour modifier les comportements.

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