Raconter l’histoire de la Préhistoire, quelle idée ! Nous voici bien loin des intentions annoncées pour ces articles : savoir si nous sommes européens ou si nous avons envie de l’être !
Détrompez-vous, c’est ici que tout va se mettre en place, le décor et les personnages.
Des personnages qui vont jouer leur scène sans connaître la suite de la pièce, des personnages en quête d’auteur, qui vont être emportés par le flot de l’histoire alors qu’ils voudraient en maîtriser le cours…
Comme dans un conte, il faut bien un début, « il était une fois…« . Le voici. Que la fête commence…
# Un peu de géographie
L’Europe est, en réalité, un petit cap du continent asiatique. (P. Valéry).
## L’espace européen
Premier constat que Valéry avait déjà fait, l’Europe est un petit continent. Avec ses 10 millions de km² il n’occupe que 7% des terres émergées, quand l’Asie en occupe 30%, l’Amérique 28 et l’Afrique 20.
Deuxième constat, c’est un cap certes entouré d’eaux mais, plus encore, pénétré par elles. C’est donc un continent ouvert à toutes les communications. Cette omniprésence maritime peut se chiffrer : aucun point de l’Europe n’est à plus de 700 km de la mer (Russie exclue).
Enfin le continent européen se situe presque intégralement en zone tempérée, il évite complètement les zones tropicales et comprend très peu de zones glaciaires (6% de sa superficie). Il est ainsi ouvert aux influences tempérées des vents d’ouest.
## L’histoire géologique
Embarquons dans un satellite pour survoler l’Europe, nous voyons que le continent comporte trois grandes zones :
- La longue plaine triangulaire qui prolonge vers l’ouest la Sibérie occidentale, traversant la Pologne, l’Allemagne et aboutissant dans les Flandres françaises.
- Une bordure montagneuse au nord-ouest, allant des Îles Britanniques au cap Nord.
- La barrière alpine au sud, flanquée des massifs anciens qu’elle a rehaussés.
Cette formation géologique s’est formée en trois temps :
- A l’ère primaire (il y a 540 millions d’années), les fosses de sédiments préexistantes sont soulevées par deux plissements, le calédonien (Angleterre – Norvège) et l’hercynien ((Espagne – France – Bohème).
- A l’ère secondaire (il y a 250 millions d’années) ces deux plissements s’érodent, tandis que l’océan qui sépare l’Europe de l’Afrique se comble de sédiments.
- A l’ère tertiaire (il y a 65 millions d’années), l’énorme plaque africaine se déplace vers le nord et soulève ces sédiments, formant les Pyrénées, les Alpes et l’Atlas marocain.
Enfin l’ère quaternaire, qui s’étend sur les quatre derniers millions d’années, finit de modeler les paysages européens avec l’alternance des périodes climatiques : pendant les périodes froides, les glaciers descendent jusqu’à Londres ou à Lyon (La Croix Rousse est une moraine de cette période, avec son « Gros-Caillou »). Pendant les périodes inter-glaciaires, la forêt remonte au nord jusqu’à la mer de Barents.
Tous ces mouvements du territoire concourent à ouvrir le continent aux communications, avec des accès périphériques par la mer et des accès centraux par les fleuves et les grandes plaines.
Ce sont ces voies qu’emprunteront les envahisseurs venus d’Asie ou de Scandinavie et voulant s’engager dans la presqu’île européenne. Mais ceci est une autre histoire, que j’évoquerai sûrement dans un prochain article !
# Les populations préhistoriques
Il y 10 millions d’années des hominidés vivent en Europe, on ne connaît pas leur évolution.
Deux millions d’années plus tard apparaissent les premiers hommes (période du paléolithique) : l’homo habilis en Afrique et l’homo erectus en Europe. Ce dernier va conquérir tout le territoire européen, Massif Central et Côte d’Azur, Italie, Allemagne, Bohème…
Les faits marquants de cette longue conquête sont les suivants :
- Il y a 500 000 ans (paléolithique ancien) l’homo erectus peuple le territoire européen, de la Pologne à la France. Il dispose d’armes et d’outils, notamment des bifaces en pierre taillée. On est alors en période interglaciaire (chaude).
- Il y a 120 000 ans (paléolithique moyen) commence la dernière période glaciaire. L’homme de Neandertal peuple les forêts méditerranéennes ainsi que les toundras qui s’étendent de la Bretagne à l’Oural. C’est un chasseur-cueilleur, il fabrique des instruments en silex, notamment des racloirs pour préparer les peaux qu’il utilise afin de se protéger du froid.
- Il y a 30 000 ans (paléolithique supérieur) l’homo sapiens sapiens apparaît, venant du Moyen Orient, et remplace progressivement l’homme de Neandertal. Il s’installe sur les terres libérées des glaces, au fur et à mesure du changement climatique marquant la fin de la période glaciaire. Les peintures de la grotte Chauvet ont 30 000 ans, celles de Lascaux ou d’Altamira (Espagne) sont vieilles de 18 000 ans.
- Il y a 10 000 ans (néolithique) le recul du froid se poursuit et les modes de vie évoluent. On trouve à cette période des armes et outils en pierre polie, des poteries, des étoffes tissées. L’agriculture est introduite en Europe par les populations venues du « croissant fertile » (la zone allant du Liban au Golfe Persique), elles vont remplacer progressivement les chasseurs-cueilleurs. C’est une agriculture « extensive », le paysan se déplaçant à mesure de l’épuisement des sols, ce qui explique la migration continue depuis la Crète vers la Grèce, les Balkans, puis l’Europe centrale et occidentale.
_ En Europe occidentale (de la Suède méridionale au Portugal) apparaît également la civilisation des mégalithes, connue par l’érection des dolmens, menhirs, cromlechs… Elle suppose une organisation collective avancée et probablement une intention religieuse et un culte des morts. - Il y a 3 000 ans, les agriculteurs se sédentarisent. La quasi-totalité du continent européen vit désormais au rythme des travaux agricoles. L’Europe du sud et de l’ouest est alors peuplée par les Egéens, les Ligures, les Basques et les Ibères.
# Les productions et le commerce préhistoriques
## La maîtrise des techniques
La maîtrise du feu (c’est-à-dire sa reproduction intentionnelle) semble acquise vers —400.000 ans, l’homo erectus produisant le feu par la friction de deux bâtons. Cette invention donne naissance à des usages techniques dès le paléolithique moyen : fracturation des matériaux durs, durcissement des armes en bois.
C’est au paléolithique supérieur que les usages du feu se multiplient : oxydations des colorants, cuisson de la terre, chauffe du silex pour faciliter la taille, redressement des bois de cervidés, éclairage et chauffage.
La métallurgie du cuivre remonte au néolithique (- 8 000 ans) et apparait d’abord en Anatolie. Le plus ancien foyer métallurgique européen se trouve dans les Balkans et date de -3500 ans. Cette métallurgie va ensuite s’étendre à l’ensemble de l’Europe vers – 2000. Elle ne se développe que dans les zones disposant de gisements de cuivre et correspond donc à une économie locale.
Il en est tout autrement avec la métallurgie du bronze, apparue vers -1 800 ans : elle se développe dans des régions dépourvues de minerais de cuivre ou d’étain et suppose donc une économie complexe basée sur une production et des transports couvrant de vastes territoires. Les activités vont dès lors se spécialiser avec des marchands, assurant l’échange et le transport, et des artisans (mineurs et forgerons) assurant les productions intermédiaire et finale.
La route de l’ambre et la route de l’étain sont les premières voies de commerce importantes. Dès l’âge du bronze elles relient la mer Baltique à la mer Méditerranée en suivant le cours de la Vistule, de l’Elbe et du Danube. Il semble que l’ambre constitue une matière intermédiaire d’échange, se substituant au troc direct de matières.
## La révolution des moyens de subsistance
C’est au néolithique (- 10 000 ans) qu’apparaît cette (lente) révolution: de chasseur-cueilleur, l’homme devient agriculteur, il vit de l’élevage et de la culture et tend à se sédentariser dans les premiers villages. Des stocks de céréales sont constitués (blé, orge) mais aussi de viande et de poisson (c’est à cette période que datent les premières traces de séchage et de fumage de la viande et du poisson).
L’abondance nouvelle issue de cette révolution permet à l’homme de dégager du temps, auparavant accaparé par la seule recherche de subsistance. De nouvelles activités peuvent apparaître, d’autant que les techniques nécessaires sont bien maîtrisées : mineurs, forgerons, potiers, commerçants… La spécialisation du travail conforte la productivité et l’innovation.
## La propriété et l’insécurité
Le stockage des produits non périssables et la spécialisation des activités entraînent une nouvelle organisation, marquée par une hiérarchisation des groupes sociaux et une confiscation des richesses aux profits de certains. En attestent les sépultures individuelles, certaines richement décorées et distinctes des sépultures collectives du néolithique final.
L’insécurité semble se développer avec l’accumulation des richesses et le développement des transports. Les vestiges archéologiques permettent de repérer des retranchements, des fortifications, des armes, … signes d’une insécurité grandissante à partir du IIIe millénaire.
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Et l’Europe dans tout ça ?
Le décor est planté, les acteurs sont en place et tout va pouvoir commencer.
Au début de cet article nous avons compté en centaines de millions d’années. Il a fallu tout ce temps pour modeler les paysages et ce sont presque les nôtres, ou plutôt ceux de nos grands parents.
Nous avons juste défriché les forêts, ajouté des villes et des usines, des voies de communications… Pas grand chose, en fait, depuis notre escapade en satellite pour y découvrir le continent européen vu de là haut.
Ensuite, dans cet article, nous avons compté en centaines de milliers d’années pour voir apparaître et s’installer l’homo sapiens sapiens. Ne nous y trompons pas, cet homme, c’est nous : Il est âgé de 10 000 ans, un battement de cil dans l’histoire de l’évolution ! Il a donc le même cerveau que nous, la même capacité cognitive, les mêmes émotions, les mêmes désirs de base : vivre, aimer, s’occuper de sa famille. Mais aussi se méfier du voisin, lui prendre un peu quelque chose, se défendre, attaquer… Il a inventé l’art, la religion et sans doute la peur de l’au-delà, les premières techniques, les premières communautés, les premiers échanges…
Certes nous sommes (beaucoup) plus nombreux, nous avons inventé des choses utiles ou inutiles, parfois désastreuses. Nous avons appris à transmettre nos savoirs sur plusieurs générations et donc à les accumuler. Nous avons appris retrouver, sinon à comprendre, notre propre histoire.
Quand je vous disais que tout est en place pour que la pièce commence, celle de l’histoire européenne. A suivre, donc…
La Préhistoire
C’est déjà très bien. on commence à s’accrocher à cette histoire qui promet d’être longue et riche de péripéties. Il y a bien-sûr des présupposés… qu’est ce qui permet d’affirmer que c’est l’accumulation des richesses qui a crée des phénomènes de violence et donc l’insécurité ? J’avais appris, il y a bien longtemps, que Caïn avait tué son frère parce que les offrandes de ce dernier étaient mieux agrées par Dieu… La jalousie… , monstre terrible, serait alors au coeur de l’homme, inhérente à sa nature de créature imparfaite… et donc indépendante de toutes circonstances économiques, climatiques, sismiques…
Bien entendu j’accepte bien volontiers cette vision… laïque de l’histoire et j’attends la suite !
La Préhistoire
Salut Dominique,
Et merci pour ce commentaire, qui me permet d’ailleurs de préciser mon propos.
Il est clair que l’insécurité et la violence ne sont pas nées avec l’accumulation de richesses au néolithique. Il suffit de constater le nombre et la diversité de haches, massues, flèches, sagaies durcies au feu, datant du paléolithique, pour s’en persuader. Violence due à la jalousie et à la nature imparfaite de l’homme, dis-tu ? Je pense plutôt à une violence de survie : dérober le feu, défendre ou conquérir de nouveaux terrains de chasse, enlever les compagnes du clan voisin (ou des compagnons ? Je n’ai pas exploré l’hypothèse de sociétés matriarcales pendant cette période)… Des indices de morts violentes apparaissent d’ailleurs pendant le mésolithique (fin du paléolithique) et certains sites montrent des corps portant des traces de coups.
Il n’en reste pas moins que, à partir du néolithique seulement, on trouve des vestiges archéologiques attestant de deux faits :
– Il existe des sépultures très différentes, certaines richement ornées, la plupart ne l’étant pas. On peut dès lors penser (mais c’est évidemment une hypothèse) que des individus étaient plus « riches » que d’autres et disposaient d’un statut amenant leur entourage à marquer cette différence. La révolution agricole ayant permis de créer des surplus, il est assez probable que certains avaient su, plus que d’autres, accaparer une partie de ces surplus. Ne voir là aucune idéologie mais un simple raisonnement économique.
– Il existe à cette période des moyens de défense (enceintes, retranchements, fortifications…) signes d’une insécurité qui n’existait pas avant, supposant donc des agresseurs ayant des motivations nouvelles. On peut penser que ces agresseurs étaient attirés, soit par les stocks eux-mêmes (céréales, viandes fumées…) soit par des valeurs servant aux échanges (ambre, bronzes, …).
Au final il semble assez naturel de penser que les richesses nouvelles ont entraîné une insécurité nouvelle, venant s’ajouter aux précédentes.
A plus et toujours disposé aux contestations et controverses…
JF
La Préhistoire
Ce premier article est comme toujours tres bien ecrit et documente, le feuilleton de l’hiver s’annonce passionnant !
J’ai un petit commentaire a faire sur la question de la violence, qui rejoint aussi l’echange entre Dominique et papa. L’hypothese selon laquelle la creation de richesses (agricoles et autres) aurait contribue a augmenter l’insecurite, me parait difficile a demontrer. Les decouvertes archeologiques de fortifications, enceintes etc… tendent-elles a demontrer la diffusion de la violence a partir du neolithique – ou bien faudrait-il considerer que nos ancetres qui vivaient avant le neolithique, savaient s’entre-massacrer tout aussi joyeusement, mais etant moins « civilises », ne sachant construire que de tres basiques fortications de boue et de feuillages, ils ne nous ont pas laisse les memes vestiges de cette violence ?
La Préhistoire
Salut Pierre,
Voici quelques éléments, reprenant d’ailleurs en partie ma réponse à Dominique.
Au mésolithique (donc avant le néolithique), on peut dire les choses suivantes :
– La violence existe déjà, ainsi qu’en attestent ces deux types de vestiges : des armes (haches, massues, flèches…), des squelettes portant des traces de coups mortels. La violence n’est donc pas une création du néolithique.
– Les hommes sont des chasseurs cueilleurs, a priori ils trouvent et consomment leurs subsistances au fur et à mesure de leurs besoins. On peut raisonnablement penser qu’ils se battent (entre autres) pour récupérer une cuisse de mammouth (le mammouth commence à être rare) ou une poignée de framboises (sauvages !).
– A ma connaissance, on n’a pas trouvé à cette époque de vestiges correspondant à des murs ou enceintes de défense.
Pour affiner ma réponse, je viens par exemple de trouver cette citation de Jean Guilaine, archéologue :
Conflits mésolithiques : des traces de violence sont attestées à travers de sujets blessés par flèches ou ayant subi des traumatismes divers… Ces affrontements ont été expliqués par la compétition entre communautés désireuses de s’approprier des territoires riches en ressources alimentaires diversifiées…
Au néolithique :
– Les hommes sont devenus des agriculteurs-éleveurs. Donc a priori ils stockent leurs subsistances : céréales, troupeaux.
– On a des vestiges de murs et enceintes de défense.
– On a des vestiges (sépultures) attestant les différences de richesses.
Autre citation de Jean Guilaine :
Au néolithique : l’avènement de l’économie agricole est souvent considérée comme source potentielle de conflits : … richesses alimentaires convoitées (production agricole et troupeaux)… montée progressive des inégalités sociales…
Je conclus donc de tout ça :
– Le néolithique n’a pas créé la violence mais, avec l’agriculture, les possibilités de stockage et probablement les différences de richesses, il a crée un forme de violence supplémentaire : l’attaque de lieux (disposant donc de nouvelles défenses) pour y récupérer des biens.
– Dans un raccourci saisissant et pour paraphraser Proudhon, je ne dirai donc pas «La propriété, c’est le vol» mais «Au néolithique, la propriété a créé le vol».
Je sens que je vais m’attirer des ennuis auprès de la Ligue de Réhabilitation du Néolithique…
JF