Les élections intermédiaires sont souvent dévastatrices pour le parti au pouvoir, et la droite en a fait l’expérience comme la gauche aujourd’hui. Avec un moindre enjeu que l’élection présidentielle ou les législatives, les départementales ont permis aux électeurs de se défouler sans trop de risques, comme ils l’avaient déjà fait lors des municipales.
Dans cet article, j’essaie d’analyser les causes de ce nouvel échec du PS, critiqué à la fois par sa gauche et bien évidemment par la droite. Est-ce dû à une politique trop libérale qui serait incarnée par E. Macron et doit-elle revenir aux fondamentaux de la gauche, d’autres formes de rejet sont elles à l’oeuvre ? Essayons d’y voir plus clair… Et n’hésitez pas à me contredire !
Un peu d’économie-politique
Après le revers incontestable de la gauche lors des élections départementales, les débats vont bon train, le plus souvent avec une rare mauvaise foi.
– Pour l’extrême gauche et les frondeurs, l’échec vient d’une politique «de droite», symbolisée par Macron et définie par Hollande début 2014, choisissant une «politique de l’offre» contraire aux engagements de campagne et aux valeurs traditionnelles de la gauche.
– Pour la droite, l’échec vient (évidemment) d’une politique «de gauche» qui «refuse les réformes courageuses». En clair : qui ne remet pas en cause les droits sociaux et ne donne pas assez de libertés aux entreprises.
Je résume : le gouvernement de gauche fait une politique de droite… mais trop à gauche… et donc il a tout faux !
Mais d’abord, politique de l’offre, politique de la demande, qu’est-ce que c’est ?
- Quelques rappels
– Une politique de l’offre, c’est une orientation économique visant à aider en priorité les entreprises (les acteurs qui «offrent» des produits et services), différents moyens pouvant être mis en oeuvre : baisses des impôts ou taxes sur les entreprise, aides à la recherche-innovation, aides à l’investissement, simplification des démarches administratives, etc.
L’objectif de cette politique est de permettre aux entreprises de mieux préparer leur avenir (en investissant) et donc à terme d’améliorer la situation économique globale du pays (en embauchant – ce qui limite aussi le coût du chômage – en faisant des profits et donc en payant plus d’impôts, etc.).
– Une politique de la demande, c’est une orientation économique visant à aider en priorité les consommateurs (les acteurs qui «demandent» des produits et services), là encore avec différents moyens : baisses des impôts ou taxes sur les ménages, augmentation du SMIC, augmentation des aides sociales, aides financières directes aux plus démunis, etc.
L’objectif de cette politique est de renforcer le pouvoir d’achat des consommateurs et d’améliorer leur situation, ainsi que celle des entreprises qui voient leur carnet de commandes se regonfler.
En fait, il n’y a jamais d’orientation exclusive «offre» ou «demande», mais un positionnement du curseur entre les deux et un choix des moyens privilégiés pour atteindre les objectifs.
- Les a priori idéologiques
Pour une partie de la gauche, une politique de l’offre est taxée de «cadeau aux entreprises» (j’ai encore entendu Marie Noëlle Lienemann le dire, avant de se reprendre), ou, pire, de «cadeau aux patrons» (rhétorique privilégiée par la gauche de la gauche). Et ce d’autant plus que les aides seraient allouées sans imposer de contreparties.
Il faut dire que le Medef, par la voix de son patron, Pierre Gattaz, a créé l’ambiguïté en évoquant d’abord la création d’un million d’emplois, avant de se rétracter en affirmant qu’il s’agissait d’un objectif et non d’un engagement.
Comme souvent, la réalité est plus complexe :
– Il faut distinguer la situation des grands groupes – dont la situation financière est globalement saine mais qui créent peu d’emplois – et la situation des [ETI|Etablissements de taille intermédiaire] et des PME – qui pourraient créer des emplois mais sont financièrement fragiles par manque de fonds propres.
– Dans ces conditions et si les aides servent d’abord à renforcer les fonds propres sans entraîner d’embauches ou d’investissements, il est facile d’y voir un cadeau, quand bien même c’est un préalable nécessaire au développement de l’entreprise : il faut des fonds propres suffisants pour obtenir un prêt bancaire (et ce d’autant plus que les banques n’aiment guère soutenir les PME…).
– Au risque de choquer, je dois dire que la priorité d’un chef d’entreprise n’est pas d’améliorer la situation économique du pays mais d’assurer celle de sa boite, à l’intérieur d’un faisceau de contraintes : celles de l’Etat (la réglementation), celles de ses actionnaires (le marché financier), celles des banques (soutien de sa trésorerie ou obtention d’un prêt).
Ce qui n’exclut pas que le «patron» soit (plus ou moins) attentif au dialogue social, au niveau des salaires et à leur répartition, aux conditions de travail, etc.
– Le défi d’une politique de l’offre est donc d’organiser ce faisceau de contraintes, sans imposer de règles qui n’auraient pas de sens : on ne peut pas obliger une entreprise à embaucher, sauf à accepter une économie administrée qui n’a pas vraiment fait ses preuves ! Mais on peut moduler les aides à une entreprise faisant des bénéfices, selon (par exemple) la part qu’elle consacre aux investissements ou à la recherche.
– C’est cet équilibre que n’ont pas su trouver Montebourg (trop inféodé aux syndicats rétifs aux réformes) ou Moscovici (trop inféodé aux lobbys bancaires). Et que Macron a tant de mal à instituer face aux groupes de pression de tous poils.
Pour une partie de la droite, une politique de la demande est taxée d’«assistanat».
Ça n’a pas de sens : en période de chômage de masse, l’assistanat existe sans doute (et il faut le combattre) mais il est évidemment marginal par rapport au manque d’activités sur la marché du travail et à la réelle difficulté de trouver un emploi. On en a tous des exemples dans notre entourage.
La fraude sociale (faux arrêts de maladie, prestations indûment perçues…) est estimée (chiffres 2011) à environ 4 milliards d’€, alors que la fraude fiscale des entreprises (fausses déclaration de TVA optimisation fiscale des grands groupes…) voisinerait les 100 milliards.
Enfin, sabrer dans les dépenses sociales est doublement contre-productif :
– C’est, d’une part, remettre en cause une politique de solidarité qui participe à la cohésion sociale. Les études conduites dans tous les pays de l’OCDE montrent que de fortes inégalités sont [défavorables à la prospérité économique|On analyse la corrélation entre le coefficient de Gini qui mesure les inégalités, et le PIB par habitant].
– C’est, d’autre part, diminuer la demande, affecter le carnet de commandes des entreprises et donc augmenter leurs difficultés, particulièrement lorsque l’économie est en récession.
- Les bien-fondés de l’une ou l’autre politique
Au delà des slogans, on peut par contre critiquer le bien fondé de l’une ou l’autre politique en fonction de la conjoncture économique.
Une politique de l’offre renforce la compétitivité des entreprises, ce qui a priori est positif.
Encore faut-il qu’il y ait une demande, ce qui n’est pas évident en période de [déflation|La déflation est une baisse généralisée des prix. Dans ces conditions, chacun attend pour acheter que les prix aient encore plus baissé, ce qui accentue la spirale déflationniste et la baisse d’activité].
S’il n’y a pas de demande, aucune entreprise ne va prendre le risque d’investir ou d’embaucher. L’Etat peut leur déverser des tombereaux d’aides, celles-ci serviront tout au plus à nourrir la spéculation.
Autre difficulté, une politique de l’offre ne peut avoir des effets qu’à relativement long terme, le temps que les entreprises se restructurent et développent de nouveaux produits ou services.
Ce sont les critiques (justifiées à mon avis) faites à la politique du gouvernement par certains économistes, par exemple Pierre-Alain Muet, député PS du Rhône que connaissent bien les Lyonnais.
Par contre, une politique de l’offre peut mettre les entreprises en situation de répondre favorablement à un redémarrage économique escompté, cas actuel avec la reprise aux Etats-Unis, la baisse du coût de l’énergie, la nouvelle politique européenne plus dynamique, etc.
Mais il faut que les chefs d’entreprises aient confiance en la continuité de la politique de l’offre : c’est ce qui peut justifier le maintien de cette orientation par Macron et Valls, même si les résultats ne sont pas encore au rendez-vous.
Une politique de la demande, en redonnant du pouvoir d’achat aux consommateurs, améliore a priori le carnet de commandes des entreprises.
A la différence d’une politique de l’offre, l’effet bénéfique pour l’activité peut être immédiat, avec quand même deux réserves :
– Il faut que les entreprises françaises proposent des produits adaptés à la demande.
– Il faut que les consommateurs aient confiance en leur avenir (leur emploi notamment) et acceptent donc de s’endetter pour acheter, par exemple un appartement.
Une politique de la demande peut donc donner un «coup de fouet» à une économie anémiée (ce qui est évidemment le cas actuel), mais elle n’aura d’effet pérenne que si elle est relayée par une politique de l’offre, visant à restructurer plus en profondeur le tissu des entreprises.
Un peu de politique politicienne
- Quel crédit porter aux critiques, de gauche et de droite ?
A gauche
– Pour la gauche de la gauche et pour les frondeurs, il faut revenir aux fondamentaux de la gauche et arrêter cette politique en faveur des entreprises, seule solution pour éviter d’«aller dans le mur» et perdre le pouvoir en 2017.
C’est faire l’impasse sur au moins deux aspects :
– Cet affichage accentue la division de la gauche et a contribué aux scores désastreux dans les premiers tours récents.
– Il est peu probable que les électeurs fassent crédit à la gauche d’un nouveau revirement, alors même que la confiance dans la politique est déjà gravement érodée (à gauche bien sûr, mais aussi à droite).
– Pour certains contestataires non frondeurs (j’ai cité P.A. Muet) peut-être ont-ils raison en soulignant qu’une politique de l’offre est inadaptée en période de récession et qu’il faut d’abord «booster» la demande, avant d’aider les entreprises à se restructurer. Malgré tout et maintenant que le coup est parti, je vois mal le gouvernement refaire un virage à 180°, d’autant que la conjoncture externe peut finalement lui donner raison.
– A droite
Je ne vais pas parler de l’extrême droite dont les obsessions (immigration, sécurité, rejet de l’Europe) relèvent d’une toute autre analyse.
Pour la droite républicaine, les critiques sont claires : il faut renforcer les aides aux entreprises et revoir le code du travail pour faciliter les licenciements. Il faut réduire les prestations sociales (sauf celles de la famille !) avec un tel niveau de baisse (150 milliards pour les plus extrêmes, 100 milliards pour Fillon) que le risque de récession par effondrement de la demande ne peut être exclu.
En fait la situation est plus compliquée et derrière les discours de façade, on peut repérer deux tendances à droite (bien évidemment je ne vais pas citer de noms !) :
– Ceux qui critiquent en raison d’une envie irrépressible de revenir au pouvoir, ou, pour les jeunes loups, d’accéder au poste de premier ministre.
– Ceux qui, bien obligés dans le contexte de concurrence à droite, entonnent la doxa de leur camp, tout en sachant d’expérience que la politique est un art ingrat et qu’une fois arrivés au pouvoir ils connaîtront les mêmes difficultés que la gauche.
Pourquoi la gauche a-t-elle été sanctionnée ?
Je vais développer là une opinion toute personnelle et éminemment contestable !
Je ne pense pas que ce soit en raison d’une politique qui serait massivement repoussée par les Français : si une partie des électeurs de gauche la rejette, ceux du centre y adhèrent ainsi qu’une partie des électeurs de droite.
Je vois plutôt deux causes originelles, qui relèvent plus de la psychologie que des orientations politiques :
– Les erreurs d’appréciation de François Hollande, qui n’a pas voulu traumatiser les Français en décrivant la réalité de la crise, qui a marqué trop d’hésitations et de reculades face aux attaques de la droite (avant de choisir – trop tard – une orientation et semble-t-il de s’y maintenir), qui n’a pas su trouver la pédagogie nécessaire pour expliquer ses choix politiques (je parle bien de pédagogie et non de communication).
– L’exploitation éhontée, par la droite, des erreurs de F. Hollande, en donnant l’impression qu’elle seule était légitime à exercer le pouvoir (comme s’il n’y avait pas d’autres compétences que les siennes !) ; au point de saper la crédibilité de l’action politique et, ce faisant, faire le lit de l’extrême droite.
- Et les prochaines élections ?
Je vois ça mal barré pour les régionales, d’autant que le scrutin en partie [à la proportionnelle|scrutin de liste, à deux tours, avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel, se combinant avec une prime majoritaire] va aider les FN, et que c’est encore une élection «défouloir» où chacun peut exprimer son raz-le-bol sans prendre trop de risques.
Je ne pense pas que la situation économique s’améliorera suffisamment d’ici fin 2015 pour éviter à la gauche une nouvelle déconvenue.
Et 2017, l’élection majeure de la Vème République ?
Evidemment, je pourrais me résoudre à penser qu’une petite cure d’opposition n’a jamais fait de mal à personne, sous réserve quand même que ce soit Juppé qui administre une potion pas trop amère.
Mais étant d’un incorrigible optimisme, et certain que F. Hollande lit régulièrement ce blog, je vais prendre le risque d’annoncer ce que serait «le bon choix pour la Franche» (vous avez reconnu l’accent de Giscard).
- Alors, que faudrait-il faire ?
Je pense qu’il faut maintenir une politique de l’offre en faveur des entreprises et qu’un revirement complet serait incompréhensible par l’opinion.
Surtout, sur le fonds, il me semble que c’est le bon moyen pour bénéficier du nouveau climat économique, des entreprises renforcées étant mieux à même d’investir ou d’innover et donc de profiter de la reprise.
Je pense quand même indispensable de mieux cibler les aides aux entreprises (quitte à affronter les cris d’orfraie du Medef, des bonnets rouges ou de la droite), en s’appuyant sur la bonne image de Macron, sa capacité de résistance et son sens de la pédagogie.
Là où le gouvernement a un pouvoir de décision (détention d’une majorité du capital), il doit agir sur les grands groupes pour réformer leurs relations avec les sous-traitants. Dans les autres cas, il doit se donner les moyens de contrôler l’usage des aides et d’éviter les «effets d’aubaines».
Je profiterais peut-être du délai accordé par la Commission européenne pour dépenser un peu plus et donner un coup de pouce à la demande, ce qui permettrait aux entreprises de mieux passer le cap difficile des prochains mois.
D’autant que (petite entorse politicienne), ça gênerait les frondeurs et la droite dans leur argumentaire : «le gouvernement n’a rien entendu du message des urnes !».
Il me semble qu’il faut privilégier l’écoute des syndicats réformistes lors de la prochaine législation sur le dialogue social. Une avancée dans le sens d’une co-gestion me paraît favorable au climat des entreprises et à l’acceptation de mesures difficiles pour les salariés, quand elles sont nécessaires au maintien de l’emploi.
On assiste au développement de nouveaux types d’emploi avec les auto-entrepreneurs. C’est particulièrement le cas en Angleterre et aux Etats-Unis et ça va de pair avec le développement d’internet. Je verrais bien un action en faveur de ces emplois qui intéressent les entreprises (substitut à l’intérim) et qui attirent les jeunes voulant tester une idée et la commercialiser. Ce peut-être un tremplin à la création d’entreprise innovantes.
Quitte à décevoir une partie de mes fidèles lecteurs, j’engagerais volontiers une réforme du droit du travail. Dans mon expérience de chef d’entreprise et les fois où mon carnet de commandes était plein, j’ai toujours pensé que le frein à l’embauche était la difficulté (psychologique, pratique, économique) de licencier.
Il me semble qu’en libéralisant (un peu) cette réglementation et en trouvant de nouveaux droits pour les salariés (ce que les pays du nord appellent la flexi-sécurité), l’emploi serait mieux à même de profiter rapidement d’une reprise économique, et que les aides pourraient assurer une formation ou une reconversion plus efficace en cas de basse conjoncture.
Enfin, et quitte à me répéter, j’enverrais volontiers à F. Hollande la collection complète des «entretiens au coin du feu», de Pierre Mendès France (en CD re-mastérisés, pour faire djeune !), en soulignant que l’important n’est pas de communiquer mais d’engager une vraie pédagogie de la réforme…